« Quelque chose comme un oiseau remue un peu
À son ventre serein comme un monceau de tripe ! »
Arthur Rimbaud, « Accroupissements », Poésies, 1871
Qu’ils sont bêtes comme leurs pieds celles et ceux qui se moquent de la démarche des manchots! Il n’y a absolument rien de drôle à observer ces pauvres bestioles gauchement déambuler; pas de quoi se gondoler au spectacle de ces emplumés qui se dandinent, penchant leur pataude carcasse d’un bord à l’autre, comme un bateau ivre, avec des jambes minuscules et apparemment raides comme des piquets.
Comme toujours – en tout cas souvent –, la vérité est ailleurs, sous les plumes, là où la biomécanique des manchots est indécelable. Car s’ils bringuebalent autant ces piafs, s’ils se meuvent niaisement à nos yeux, c’est parce que les y contraint une inhumaine réalité articulaire. Ça oui! Et quand lumière aura été faite sur les particularités anatomiques de l’espèce, ils se bidonneront moins ces baveux montrant du doigt les manchots marcheurs et se tenant les côtes.
D’abord parce que ces sales bêtes à l’appétit vorace et aux excrémentations catapultées comme cela a été relaté dans un précédent billet de cette excellente revue, ces sphéniscidés donc, qui se font passer pour des pingouins, ont dissimulé sous la peau de leur tronc, elle-même encagoulée sous leur abondant plumage, un fémur et une articulation, comparable à notre genou, pourvue d’une sournoise petite rotule (patella) ; et dans le même sac, dissimulée aussi pour ainsi dire, réside la plus grande part de leurs tibiotarse (os résultant chez les oiseaux de la condensation du tibia et de la première rangée des os du tarse, ndlr) et péroné (fibula). C’est là qu’est l’os hélas, la tromperie, car cette ossature se tient au chaud, invisible dans l’épaisseur du corps et de la graisse qui y est accumulée. Chez la bête, seule la partie inférieure des os de la jambe dépasse de son poitrail, avec au bout le pied qui se pose sur le sol ou la glace. Ça, c’est un sacré jambage, pas vrai ? Alors, qui d’entre vous pleurniche pour un malheureux ongle incarné?
Mais ce n’est pas tout ! L’artificieuse bête a plus d’un tour dans son sac – si j’osais, je dirais corps. L’entièreté de sa rouerie n’a pas encore été dévoilée – si j’osais, je dirais déplumée.
Dans cette histoire de locomotion polaire en effet, le plus sidérant est à venir: les manchots bien jambés sont en position accroupie lorsqu’ils se tiennent debout (sic); ils sont encore en position accroupie lorsqu’ils se déplacent; accroupis quand ils forniquent; accroupis quand ils se protègent du froid; accroupis toujours quand ils meurent ou prennent la pose en photo… Oui, vous avez bien lu: ils sont accroupis! L’accroupissement est chez eux moins une assuétude qu’une disposition anatomique. Et s’ils se dandinent, vous l’avez maintenant compris, c’est parce que chez ces piafs, être ingambe implique de se mouvoir dans cette étrange posture: les genoux pliés sous le plumage et le croupion qui tangue au ras du sol. Comme le proclame sentencieusement le philosophe aviaire: «du cloaque à la terre, l’œuf choit à moindre coût!» (cloaque: chez les oiseaux, l’orifice commun des cavités intestinale, urinaire et génitale, ndlr).
Les deux radios jointes à ce texte, diffusées par l’aquarium de Nouvelle-Angleterre à Boston, révèlent parfaitement l’anatomie secrète des manchots, ainsi que la présence de l’articulation incriminée à l’origine de leur surprenante démarche. On y voit l’ossature des membres inférieurs, avec le fémur plus petit que le tibiotarse. Sur les clichés, l’articulation du genou est encadrée afin de faciliter son repérage. Dans la première radio enfin, on distingue aussi nettement l’extension des parties molles du corps de l’animal d’où ne dépasse, au niveau du poitrail, que la section inférieure de sa jambe, prolongée par le pied. Partant, ces radios nous font aussi réaliser qu’il est on ne peut plus balourd de se gausser de la dandinerie de ces pauvres piafs. En fait, les lourdauds, ce sont nous.
Et puis, cet accroupissement caché explique encore la capacité qu’ont ces animaux à bondir par surprise tel un véritable ressort. Rien de plus normal cependant, car le ressort de cette histoire est enfoui dans leurs entrailles et qu’on ne le voit pas se détendre. Cette aptitude à la sauterie se remarque en particulier chez les Gorfous sauteurs (Eudyptes chrysocome), car il ne faut pas chercher plus loin une explication à leur épithète spécifique: si l’espèce est primesauteuse, c’est parce qu’elle aime sauter, un point c’est tout.
Alors fini de rire maintenant! L’heure n’est plus à la danse des canards Essayez donc de vous déplacer accroupi, et d’autres choses encore, qu’on voit si vous n’allez pas vous dandiner à votre tour, qu’on sache si vous ne pas passerez pour plus manche qu’un manchot, et, en marchant, finir par être plus royaliste que l’Empereur.
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