My favorite piece of art (2010)
de Katrin Memmer (Mayence, 1979)
Dans cette œuvre, la chanson bien connue My funny Valentine tient lieu de scénario et la cadence sonore du titre, My favorite piece of art, renvoie au sixième vers de la première strophe et va donner au film structure et continuité. Les traits comiques de « l’inphotographiable Valentine » accompagnent et rythment encore et encore les mouvements de la fillette qui travaille inlassablement un exercice de gymnastique s’achevant par une chute soudaine, comme un poème qui répéterait une erreur, ou une petite torture qui déclenche en nous un léger sourire, teinté d’humour noir. « C’est tous les jours la Saint-Valentin », souligne la chanson, et l’image nous incite à nous mouvoir en cercle, à répéter la routine d’une petite Sisyphe qui, sous les yeux d’un maestro impassible, tombe et ramasse son courage à deux mains, comme un rocher, pour entreprendre un nouveau commencement. L’œuvre est une parabole, un enseignement moral où entrent en jeu la capacité à se relever, la répétition, l’erreur et la capacité à rire de nos faux pas : « You make me smile with my heart / Your looks are laughable / Unphotographable / Yet you’re my favorite work of art ». [1]
Dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus dit une chose que nous pourrions appliquer à ce travail sur une image mobile et cyclique :« Ainsi, persuadé de l’origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n’a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore ». Un principe d’espoir et un moteur de vie dans la répétition, et aussi un acte de rébellion, un affrontement avec l’autorité : « Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers ». C’est ainsi qu’il parvient à réemprunter tous les jours le chemin, en sachant qu’il faut toujours recommencer, conscient de cela.
Le film renvoie aussi au poème Défaite du poète vénézuélien Rafael Cadenas, que son propre auteur renie et qui s’achève ainsi ;
« Je me relèverai plus ridicule encore pour continuer à me moquer des autres et de moi jusqu’au jour du jugement dernier. » [2]
On peut trouver le contrepoint dans Échec, autre poème de Cadenas :
« En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m’as levé au dessus de la mêlée ». [3]
Katrin Memmer a suivi une formation en théâtre, performance, danse et improvisation. C’est peut-être ce qui explique que nous ressentions dans ses films la présence du corps, de son corps comme expérience invitant non seulement à voir mais à toucher. Ici, elle nous pousse même à ressentir la chute que nous observons : il y là comme un miroir, un souvenir partagé, une histoire vécue dans l’enfance, des scènes de livres et de films, un peu des Désarrois de l’élève Törless, de la discipline sévère et de la tortueuse expérience de l’école. Le film de Memmer est, comme la chanson, une parabole douce amère qui souligne la belle rhétorique de l’échec durant les années de formation : chuter et se relever, rechuter et se relever encore. Mais dans le film, la torture se dénoue à la fin pour laisser la place à une mise en rang, un autre genre de discipline, où se multiplient les uniformes. La mise en rang annonce la venue d’un autre « dressage » pour la vie, un autre exercice où l’individu se fond dans la communauté.
Franz Erhard Walther, l’un des artistes qui a le plus influencé Katrin Memmer, l’exprime ainsi : « Quand tu travailles avec ton propre corps, il devient une sorte de matériau. L’espace avec lequel et dans lequel tu travailles devient aussi une sorte de matériau. De la même façon, le temps avec lequel et dans lequel tu travailles devient un matériau. » [4]
Ainsi la petite Sisyphe, sweet comic Valentine, apparaît et disparaît tel un matériau de travail.
Ángela Bonadies*
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