“Le Nombre imaginaire” ou les mathématiques comme terrain de jeu où l’imagination seule fixe les limites.
Nous avons évoqué la semaine dernière le grand mathémagicien Martin Gardner. La richesse de l’œuvre que ce dernier nous a laissée me donnerait matière inépuisable à chronique si je souhaitais exploiter le filon. Ce que je ne ferai cependant pas : Martin Gardner mérite qu’on le cherche et qu’on le lise en ses propres mots. L’inoubliable chroniqueur du Scientific American nous a laissé un grand nombre de livres et d’articles, dont beaucoup traduits en français, et que je vous invite à rechercher. Vulgarisateur de génie, magicien, grand ennemi des charlatans, Gardner était un explorateur passionné et passionnant du territoire mathématique : votre serviteur ne va tout de même pas monter sur son dos pour vous en mettre plein la vue ! En revanche, je ne résiste pas au plaisir de faire les présentations, en évoquant pour vous quelques uns des fascinants casse-têtes et autres inventions qu’il a su rendre populaires.
Commençons par un de mes objets favoris, découvert à l’adolescence à la lecture de ses livres: l’hexaflexagone. Kezako ? Il s’agit d’un pliage de papier en forme d’hexagone, qui se plie et se replie un peu comme la cocotte de notre enfance (vous vous souvenez : choisis un nombre et une couleur, je te dirai ton avenir), et qui présente jusqu’à six faces complètements différentes que l’on peut obtenir par ces manipulations successives. L’hexaflexagone est un objet addictif, amusant à fabriquer et plus encore à manipuler, accessible à tous et en particulier aux enfants, bien que ceux de ma fabrication soient d’une longévité digne de mes talents de bricoleur, à savoir : médiocre.
Pour fabriquer un hexaflexagone, on monte une longue bande de papier (si possible résistant mais fin) contenant 19 triangles équilatéraux placés les uns à côté des autres, un sur deux avec la pointe en haut et un sur deux avec la pointe en bas. Cette bande est pliée jusqu’à obtenir un hexagone, et le dernier triangle est collé sur le premier. Il reste donc 18 triangles qui offrent 36 faces (puisque l’endroit comme l’envers de chaque triangle peut être utilisé), ce qui donne 6 hexagones utilisant chacun 6 triangles, qui sont tous accessibles par manipulation de l’objet. On peut alors colorier chacun des ces six hexagones, voire imprimer une photo différente sur chacun (c’est un peu plus compliqué à obtenir car les triangles utilisés dans chaque hexagone sont orientés de manière différente, mais on peut le faire et j’avais même mis au point un programme permettant d’automatiser cela dans Photoshop).
Un flexagone simple ressemble en fait au ruban de Moebius : c’est un objet à un seul côté et une seule face ! Si vous commenciez à tracer un trait à partir du centre d’un triangle et à le prolonger aussi loin que possible en dépliant votre flexagone sans jamais lever le crayon, vous finiriez par vous retrouver de l’autre côté du triangle d’où vous êtes partis.
Ajoutons que de grands esprits, dont le fameux physicien Richard Feynman, se sont intéressés aux flexagones (dont il existe d’autres variétés que notre hexagone), et passons à autre chose. En l’occurrence, le célèbre mais toujours fascinant jeu de la vie, que Martin Gardner a largement contribué à populariser.
Ce jeu se joue seul – et vous laisserez en fait l’ordinateur jouer pour vous. Sur une grille ou un damier de dimension arbitrairement grande, vous placez un certain nombre de pions (un par case au maximum). Cela donne votre première génération. Une case s’appelle aussi une cellule ; on dit qu’une cellule contenant un pion est vivante, et qu’une cellule vide est morte. Ensuite, vous appliquez systématiquement les règles qui suivent. Choisissez une cellule quelconque de votre grille, vivante ou morte. Cette cellule a 8 cellules voisines (en comptant celles au dessus et au dessous, à gauche et à droite, et celles qui la touchent en diagonale). Si, à la génération antérieure, une cellule vide a exactement trois voisines vivantes, elle devient vivante à son tour : vous devez y placer un pion. Si une cellule vivante a deux ou trois voisines vivantes, elle reste vivante, mais sinon elle meurt et vous devez retirer le pion. Appliquez ces règles à toutes les cellules de votre grille et vous obtenez une deuxième génération. Ensuite… on recommence.
Quand on place les premières cellules vivantes au hasard, on obtient bien souvent un désert au bout de quelques générations. Cependant certaines configurations initiales de cellules donnent des résultats fascinants, presque biologiques : d’une génération sur l’autre vous pouvez voir des groupes de cellules naître, grandir, se déplacer, fusionner, se manger les uns les autres… Les vidéos disponibles ne sont pas légion et guère excitantes, mais celle-ci vaut le détour si vous passez l’introduction et commencez à regarder vers une minute dix.
Nous ne pouvons enfin pas quitter Martin Gardner sans mentionner un domaine qu’il adorait : la prestidigitation, et en particulier les tours de cartes. Outre le problème des cinq cartes que nous avons exploré, Gardner a vulgarisé toute une collection de tours souvent fascinants, dont je vous soumets un exemple.
Je vous montre un paquet de 52 cartes normal, dans lequel je retourne certaines cartes avant de les remettre face visible dans le paquet (les autres cartes restant dos visible). Mélangez ce jeu autant que vous le voulez, je ne regarde pas. D’ailleurs tiens, bandez-moi les yeux, ce sera aussi simple.
Maintenant je prends devant vous les vingt cartes du haut de ce paquet. Dans le tas il y en a sans doute qui sont face visible, a priori moins que dans le paquet de 32 cartes qui vous reste, mais on ne peut pas le savoir avec précision.
Cependant, grâce à mes pouvoirs psychiques et à mon toucher surnaturel, je vais pouvoir retourner les cartes qu’il faut dans mon paquet afin qu’il contienne exactement autant de cartes face visible que le vôtre. Commencez donc par compter – sans bien sûr me donner le résultat – les cartes face visible de votre paquet. Attendez, je lis dans vos pensées… merci. A présent je vous tourne le dos, je me concentre, je retourne quelques cartes de plus dans mon propre paquet…. voici. J’ôte mon bandeau et je vous montre mon paquet. Combien avez-vous de cartes face visible ? Sept ? tiens donc : moi aussi !
La solution de ce tour est étonnamment simple… mais très surprenante, et elle attendra la semaine prochaine !
Yannick Cras
Le nombre imaginaire
[print_link]
0 commentaires