Il est peu probable que Pascal ait jamais connu ce que les hommes appellent une vie sexuelle. L’auteur des Pensées, qui fut tout à la fois un esprit scientifique, un immense philosophe et un penseur chrétien a peut-être manqué du temps nécessaire à une vie amoureuse. Rien dans ses écrits du moins n’en porte la trace. Je ne pensais donc pas consacrer une recherche à une vie sexuelle de cet homme tourmenté quand une circonstance heureuse m’a mis entre les mains quelques fragments des Pensées que la Mère supérieure du couvent des *** tenait d’un abbé. Elle et lui avaient entretenu une liaison coupable durant six mois. Puis la grâce avait touché celle qui avait d’abord pensé se consacrer au métier d’institutrice. Elle rompit aussitôt avec l’abbé et prononça dans la foulée des vœux irrévocables. Elle se mourait quand je la rencontrai : je n’eus pas trop de difficultés à lui faire comprendre que Dieu demandait que ces papiers de Pascal fussent connus du public. La providence m’avait mis sur son chemin alors qu’elle agonisait. Il est vrai que la Mère supérieure n’avait plus toute sa tête. Parmi les rares fragments que je livre ici, certains figurent pour partie dans l’édition Lafuma des Pensées. Le lecteur de Pascal saura les reconnaître.
Il a quatre maîtresses.
Nous ne tenons jamais notre plaisir. Nous l’anticipons comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous nous rappelons une ancienne jouissance, pour la revivre alors que nous ne l’avons peut-être pas connue. Nous errons entre mille figures que nous n’avons fait qu’entrevoir, nous rêvons, nous ne jouissons qu’en songe. Nous n’appréhendons jamais le moment de notre satisfaction. C’est que la jouissance, d’ordinaire, nous blesse. Quand nous croyons la tenir entre nos mains, sa petitesse nous afflige. Et quand nous sommes sur le point de jouir, nous regrettons déjà de la voir s’échapper. Ce n’est que dans ses plaisirs solitaires que l’homme comprend sa misère tandis que sa folie l’aveugle lorsqu’il fait la bête. Il croit suivre une proie sans voir que c’est une ombre qui excite sa flamme. Et même dans les bras les plus lascifs, sa concupiscence ne connaît d’autres bornes que celles de son imagination. Ce n’est pas une mais cent ou mille femmes que l’homme étreint quand il cherche à jouir. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées par des désirs sans nombre. Et l’objet de son désir n’est jamais présent mais toujours passé ou à venir. Nous ne pensons presque point à notre jouissance, et si nous y pensons, ce n’est que dans la perspective d’un plaisir à venir que nous nous figurons plus grand parce qu’il n’est pas encore venu. Le plaisir n’est jamais notre fin : le souvenir d’un monde perdu et le plaisir joué sont nos moyens ; la seule concupiscence est notre fin. Ainsi nous ne jouissons jamais, mais nous espérons de jouir ; et nous disposant toujours au plaisir, il est inévitable que nous ne le trouvions jamais.
Nature corrompue.
J.-C. n’a jamais condamné sans ouïr. Prends-moi. Délivre-moi. Je suis né pécheur. Me feras-tu la grâce d’entrer en moi ? Sans toi, Seigneur, je suis perdu entre deux infinis, abandonné – une pauvre fille. Pitié.
Un roi sans divertissement. Apportez-lui un cilice. Mettez-le à genoux. La pénitence vaut bien les amusements de la chasse, des passions, de la cour, etc. Il verra son néant.
Même dans la souffrance, ils cherchent à jouir.
Toutes les folies des hommes ne leur ont pas permis d’atteindre le plaisir.
Cette maîtresse d’erreur et de fausseté qui trompe mes sens et abuse ma raison a établi en moi une seconde nature. La nuit je ne peux demeurer en repos. La folle du logis pénètre mes songes et me contraint de forniquer dans des bras que je ne peux étreindre. Le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures. Nuit insondable. Ténèbres. Au réveil, dégoût devant ce corps pollué. Qu’est-ce que le moi ? Un cachot, un sac plein de concupiscence. Combien de maîtresses cette nuit ? Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Je regarde le ciel. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini. Effroi. Qu’il faut connaître notre néant. Il a quatre maîtresses. Et je dois l’honorer.
Oh ! quelle vie heureuse dont on se délivre comme de la peste.
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