Contraint, pour des raisons familiales qui menaçaient ma vie, de quitter le Cameroun, j’ai entrepris un périple à travers six pays avant d’arriver en France et plus particulièrement à Chambéry.
J’ai voulu, par mon exemple, montrer les souffrances d’un déracinement ; souligner la solidarité qui peut exister dans la misère et la souffrance ; donner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus.
Dans un premier temps, le récit du voyage était mon seul but. J’avais souffert, je voulais que d’autres partagent cette souffrance. Pouvoir l’écrire m’a permis de surmonter (dans une certaine mesure) le traumatisme de cette migration.
Ensuite, j’ai réalisé que j’étais un « migrant ».
Depuis que l’arrivée des migrants en Europe retient l’attention des journaux télévisés, que des campements s’installent un peu partout, que les États européens ont beaucoup de mal à s’accorder sur les mesures à prendre, que les simples citoyens sont jugés pour avoir aidé des réfugiés, que des associations essaient de leur venir en aide, que des citoyens mettent en opposition les personnes sans domicile fixe et « ceux qui ont tous avantages par rapport à eux »… Je me suis dit, que, plus que tout, je devais montrer ce que pouvait être un réfugié (car c’est ce que sont les migrants) : une personne sans avenir ; avec l’espoir, qu’un jour, il pourra construire une vie sur les ruines de son passé ; que son intention n’est pas de profiter d’un système ; qu’il ne veut prendre la place de qui que ce soit ; qu’il n’est pas, non plus, venu pour qu’on le prenne en pitié ; pour qu’on lui jette quelques morceaux de pain pour l’empêcher de mourir. Il veut, avec dignité et courage, montrer ce dont il est capable si on veut bien lui en laisser les moyens.
Or, le phénomène migratoire n’est pas nouveau ! De tous temps il y eu une mobilité des personnes et même des peuples… Alors, je me pose la question : est-ce parce que la majorité des migrants est noire qu’il y a ce phénomène de rejet ? Ce même rejet que j’ai ressenti en traversant certains pays.
Dans un troisième temps, c’est un témoignage sur le « racisme ordinaire » qui semble retrouver de beaux jours, avec une extrême droite montante dans plusieurs pays européens (néonazisme, fascisme…) et le racisme latent (car il n’a malheureusement pas disparu !) aux USA, qui remonte à la surface, pour peu que l’on n’y prenne garde. Et j’ai voulu citer Martin Luther King.
Dans un quatrième temps, et parce que, tout au long de mon périple j’ai pu, grâce à des amis, des congénères, des compagnons, bénéficier d’une aide essentielle qui m’a ainsi permis d’arriver à bon port, j’ai tenu à parler de la solidarité. En effet, dans la misère, on peut trouver une entraide qui n’existerait pas ailleurs. Ou bien, l’on peut, a contrario, trouver un monde de jalousie, de griefs permanents, de mésentente, ce qui ferait échouer l’entreprise. La solidarité, que tous et chacun cherchent vainement, sans vraiment en comprendre la portée, doit être à la base de toute action des uns envers les autres, sans aucune discrimination.
Donc, dans ce même temps, j’ai voulu parler des discriminations et j’ai fait appel à Rousseau. J’aurais, bien sûr, pu parler de Voltaire avec le Traité sur la tolérance. Mais, en le lisant avec attention, je me suis dit que tolérer, c’était accepter quelqu’un ou quelque chose qui n’allait pas de soi… Alors j’ai rejeté ce terme : en effet, comme je le dis dans le livre, je ne veux pas être toléré, mais devenir « un » parmi tous, malgré ma couleur de peau, mes coutumes, ma religion…
Et puis, puisque je viens d’écrire le mot religion, je souhaiterais que chacun puisse pratiquer la religion de son choix, sans vouloir l’imposer à l’autre ; sans que cela devienne un ensemble de règles qui prévaudraient sur la loi… Sans que, quelle que soit la religion, elle n’entraîne la haine, le rejet des autres, la violence.
Puis, j’ai, avec le recul, porté un regard nouveau sur mon pays natal, le Cameroun : pourquoi faut-il le quitter ? Toutes sortes de raisons, mais la plus importante est, à mes yeux, l’absence de liberté quelle qu’elle soit, car la dictature conduit le pays à sa perte. Les conditions de vie sont inacceptables, la corruption est omniprésente, les valeurs ancestrales sont bafouées (respect, accueil, famille, dignité…).
Et pourtant la devise du Cameroun « Paix, Travail, Patrie », devrait garantir à tous les moyens de vivre dans ce pays.
Puis, après deux années de vie à Chambéry, j’ai voulu mettre en scène les personnes qui m’ont accueilli, aidé, qui m’aident encore : école, rugby… J’ai rencontré (et je rencontre) des personnes aidantes et aimantes… qui font que je me sens à ma place. J’ai des points de repère, j’ai développé un réseau d’amis : certains m’aident, mais, maintenant, il y a réciprocité, je peux aussi les aider. Cette entraide est indispensable pour toute vie sociale et, si elle était davantage mise en pratique, chacun y trouverait une force pour surmonter les petits ou les gros problèmes : au travail, à l’école, avec le voisinage… Pour cela, il faut lutter contre l’égoïsme, regarder et accepter « l’autre » avec tout ce que cela suppose : il n’y a qu’à cette condition que nos existences ne seront pas stériles.
Bien sûr, je pense avec tendresse à mes parents : mon père décédé, ma mère, si loin, qui me manque. Maintenant que je peux calmement repenser à ma vie au Cameroun, je me rends compte que, comme je le dis dans le livre, je vénérais mon père, alors que tout reposait sur ma mère. Elle a dû travailler pour nous nourrir, emprunter pour nous faire soigner. J’ai été injuste, comme le sont beaucoup d’enfants, et c’est un regret car je ne pourrai plus me rattraper.
Stephen Ngatcheu
Littératures
À propos de l’auteur : Né au Cameroun, il quitte ses parents à l’âge de 6 ans où il s’installe chez son oncle préféré à la cité de la paix à Douala où il est scolarisé. Puis il connaît misère et maltraitance chez d’autres familles. Il entreprend un long périple du Cameroun jusqu’en France. Autodidacte, assoiffé de connaissance, Stephen Ngatcheu, qui pratique les arts martiaux, est titulaire de diplômes en infographie et en génie énergétique. Il participe à l’organisation de la coupe du monde de rugby et prépare des diplômes supérieurs de chef de projet événementiel. Il est l’auteur de Chez moi, ou presque, un récit autobiographique publié aux éditions Dacres en 2020.
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