D’abord un aveu. J’ignore tout des Spock, Jedi et autres machins. Je ne suis jamais tombé dans la marmite Star Wars… jusqu’à ce qu’hier soir une startroopeuse invétérée me pousse dans une salle et me colle sur le nez des lunettes 3D. Je découvre Star Wars quarante ans après tout le monde.
J’ai bien fait d’attendre. Je ne dirai rien de l’intrigue, avec des gentils vêtus de lin blanc et des méchants en cuirasses noires, pour qu’on les reconnaisse. Rien non plus des effets spéciaux, tout bêtement extraordinaires. Non. Ma première impression est celle d’un déchaînement si ininterrompu de violence et d’énergie que les rares moments de calme sont illico rongés par l’ennui. On sort assourdi par les trompettes martiales et les explosions gigantesques entre deux rafales de fusil mitrailleur. Même quand une planète explose, ça fait du bruit — alors que ça devrait n’en faire aucun : dans l’espace, pas de son, et c’est précisément pour outrepasser cette impitoyable loi physique que Kubrick avait eut l’idée géniale d’accompagner le ballet de ses vaisseaux spatiaux de valses de Strauss. Rien de tel ici : il faut que ça pète. Le budget “énergie” du film doit être colossal.
À l’heure où nous réalisons que notre révolution industrielle, avec sa débauche énergétique, a bouleversé le climat, et où les matières premières (dont le pétrole) commencent à se raréfier sérieusement, il apparaît clairement que Star Wars s’est trompé de siècle. Conçu à une époque où il était encore possible de croire à la conquête spatiale (l’homme a mis le pied sur la Lune 5 ans avant le premier Star Wars), au progrès indéfini des techniques et de la croissance pour tous (les 30 Glorieuses), ce film marque finalement une étape — aujourd’hui bien anachronique — du cinéma technophile-béat. Qui fera aujourd’hui de la science-fiction avec des énergies renouvelables et des idées pour sortir de l’impasse où nous nous sommes engagés ?
La conquête spatiale, qui y croit encore ? L’homme n’ira jamais sur Mars ; c’est hors de prix et ça ne sert à rien. En revanche, les robots font des prouesses pour pas cher : qui n’a vibré à l’atterrissage de Philae sur sa comète, et ne s’est lamenté de ce qu’elle se soit crashée sur un rocher ? L’émotion des responsables de l’expérience Rosetta, filmés en direct, était autrement émouvante que celle d’un superhéros à la retraite. L’espace appartient aux robots, pas aux humains. Quant au progrès des techniques, il est certes en marche, mais pas toujours dans le bon sens. Les raffinements de l’informatique ou les écrans vidéo dans les appuie-tête de voiture (innovation stupide parmi tant d’autres) se payent d’une facture énergétique non négligeable, comme tout notre mode de vie de consommateurs comblés.
Quel rabat-joie, direz-vous ! Et quid des aspects scientifiques extrapolés dans le film, la matière noire, les voyages superluminiques, etc. ? En effet, on est bien là dans la SF ; la matière noire est totalement obscure : personne n’a la moindre idée de ce qui la constitue, et le voyage superluminique est à jamais une utopie, à moins de déclarer absurde la théorie de la relativité. De ce point de vue, le film ressemble aux sabres laser qu’il met en scène : à part la couleur, quelle différence avec ceux des guerriers du Moyen Âge ?
La déception est grande, donc, du côté technoscientifique, mais pas du côté biologique : comment ne pas rester béat devant l’éventail infini des créatures — chaînons manquants entre l’animal, l’homme et la machine qui ne font qu’anticiper les futures inventions de la sélection naturelle. Les robots-robots mais vachement sympas, les robots un peu humanisés mais pas trop, les animaux qui parlent presque et les humains enfermés dans des frigos en plastique sont une belle dissertation sur le thème de l’ornithorynque et des bizarreries de la nature. Après l’ode discutable à la créativité humaine, voici l’ode à la nature. Enfin.
Mais il n’y a pas là de quoi sauver ce cinéma anachronique et terriblement américain dans sa violence et son insatiable boulimie d’énergie — complètement passée de mode. Une image emblématique de ce Star Wars est celle d’un vieux vaisseau spatial bringuebalant, bateau ivre ricochant d’un obstacle à un autre. L’image même du film, désespérément figé dans son propre passé et ricochant d’un vieux mythe à un autre sans en oublier aucun, en refusant obstinément de voir l’horizon peut-être radieux de notre avenir énergétiquement frugal. “Le retour de la force” brute contre l’avénement de l’énergie intelligente. Qui hésiterait ?
Nicolas Witkowski
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