Nicanor Parra vient de nous quitter. En 103 ans de vie, il aura eu le temps d’être mathématicien et physicien, d’appartenir à une illustre famille d’artistes qui compte aussi parmi ses rangs la chanteuse folklorique Violeta Parra, sœur cadette de Nicanor, mais, surtout, d’être un énorme poète, ou plutôt anti-poète, ainsi qu’il aimait se définir. En publiant en 1954 ses Poèmes et antipoèmes [1], il donne un coup de pied dans la fourmilière poétique de son Chili natal, un pays où il est habituel de vouer un culte ronflant aux poètes. Aux lauriers d’un Pablo Neruda, sur lequel il portera un regard irrévérent mais non dépourvu d’un certain respect, il préfèrera donc écrire des Hojas de Parra (Feuilles de Parra, mais aussi Feuilles de vigne) avec les cépages du terroir, c’est-à-dire, les rythmes populaires et les mots encanaillés, le langage plus familier et nettement plus transparent de la tribu. Doublée d’un humour décapant et d’une personnalité iconoclaste, cette désinvolture de la parole lui permettra aussi bien de côtoyer la beat generation (Allen Ginsberg et Lawrence Ferlinghetti proposeront des versions de ses textes) que de remplir des stades de foot comme une star de rock, sans l’empêcher d’être pressenti à plusieurs reprises pour le Prix Nobel ni de remporter le Prix Cervantès de Littérature en 2011. Il aura même eu le temps d’écrire – en 1969 ! – son propre épigraphe : « Je fus ce que je fus : un mélange de vinaigre et d’huile, / un saucisson fait d’ange et de bête ». Et d’anticiper ce même moment : « Pleurez si vous voulez ; moi, je suis mort de rire ».
Mariana Di Ció
Littérature
QUO VADIS, NICANOR ?
JE VAIS ET JE VIENS
[1] L’anthologie bilingue des Poèmes et antipoèmes (1937-2014) de Nicanor Parra est parue au Seuil en 2017, dans la traduction de Bernard Pautrat, préface de Philippe Lançon.
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