La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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René-Jacques, photographe de l’invisible
| 13 Avr 2019

La galerie ARGENTIC nous offre l’occasion de voir ou revoir l’admirable travail de René-Jacques (1908-2003) via une sélection de « tirages vintages et modernes des photographies de Paris ». Une partie de ces photographies sont extraites de l’ouvrage Envoûtements de Paris (Grasset, 1938, réédition Nathan, 1988). D’autres, montrées pour la première fois, viennent des collections de Jean-Claude Gautrand et Philippe Salaün.

Les clichés couvrent une période qui va des années 30 à la fin des années 50, mais pour l’essentiel ont été pris au lendemain de la guerre, en 1945-1946. Vues de Paris, donc, rues, escaliers, gares, monuments, avec une prédilection pour la saison hivernales et ses féeries enneigées. On est saisi par la beauté de ces images qui s’imposent avec une franchise rare, sans la moindre affèterie. Elles n’en sont pas immédiatement données pour autant. Il faut le temps de les regarder, de laisser agir le grain, le détail, l’éclat de lumière furtif, la luminescence de la neige, la trace boueuse des pas, l’élancement noir des troncs… Une poésie se dégage, qui n’a que faire du spectaculaire et du convenu. Le sens du beau, si présent dans le regard du photographe, ne cède pas aux sirènes de l’esthétisme, il se met au service de la justesse, de la discrétion et, oui, d’un certain mystère.

 

Le Paris de René-Jacques invite à la rêverie, à la flânerie. À la découverte. À une interrogation subtile sur ce qui nous est montré. Ou plutôt à une forme d’étonnement qui n’est autre que l’intuition d’avoir affaire à quelque chose qui se cache sous la surface. Le photographe n’est pas extérieur à cette ville qu’il capture au travers de son objectif, il en perçoit les frémissements intimes, de ceux qui animent la matière des chaussées et des façades, le pas pressé ou l’immobilité des hommes et des femmes, la transparence ou l’opacité des lumières. Il la fait vivre d’une manière singulière. Ville réelle, ville rêvée, on ne sait trop.

Pour le spectateur d’aujourd’hui, les photographies du Paris d’antan sont souvent l’occasion d’une plongée nostalgique dans un temps révolu, une ville qui n’est plus –  et donc éminemment désirable, comme porteuse d’une vérité et d’une poésie enfuies. En contemplant les clichés de René-Jacques, on sent une curieuse proximité : son Paris n’est pas coupé de celui d’aujourd’hui, peut-être parce que le photographe a saisi une résonance davantage qu’une vision. Quelque chose de la vie se perpétue, infuse une vibration à ces images. Ni documentaires ni témoignages : un ressenti.

Ce n’est sans doute pas un hasard si l’écrivain poète Joël Cornuault a choisi une photo de René-Jacques en couverture d’un de ses derniers ouvrages, Le Sentiment des rues (Le Temps qu’il fait, 2017). Il y a une parenté entre ces amoureux de la flânerie, ces observateurs du monde qui n’aiment rien tant que l’interstice et pour qui la rêverie en apprend plus que bien des discours.

Corinna Gepner
Photographie

« Le Paris secret de René-Jacques », du 23 mars au 11 mai 2019, galerie ARGENTIC, 43, rue Daubenton, 75005 Paris, du mardi au samedi 15h-19h

 

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