La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 04 Nov 2018

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Il y a tout juste cinquante ans, le réseau américain ABC achevait la diffusion de The Invaders, alias Les Envahisseurs. La série n’a connu que deux saisons mais elle a durablement marqué les esprits, tout particulièrement en France. Souvenez-vous de l’accroche : « Les envahisseurs : ces êtres étranges venus d’une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : en faire leur univers. David Vincent les a vus. Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre, le long d’une route solitaire de campagne, alors qu’il cherchait un raccourci que jamais il ne trouva… ». Que jamais il ne trouva : cet usage du passé simple annonçait à lui seul de l’exceptionnel.

Oui, ils sont là, ils ont pris forme humaine et maintenant il nous faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé. Dans la série, les envahisseurs étaient assez simple à reconnaître : pas de pouls et, pour certains, un petit doigt bizarrement tordu. Dans le vrai monde, c’est plus compliqué. Les estimations les plus sérieuses évaluent à 1% la proportion d’extraterrestres dans la population mondiale. Cela fait bien du monde ; dès que vous êtes dans une salle emplie de plus de cent personnes, vous pouvez être sûrs qu’il y a au moins un alien parmi elles. C’est peut-être vous d’ailleurs (me revient en tête la phrase de Jean-Claude Van Damme : « Selon les statistiques, une personne sur cinq est déséquilibrée. S’il y a quatre personnes autour de toi et qu’elles te semblent normales, c’est pas bon »).

Rien ne distingue les envahisseurs des êtres humains, en dehors du fait que beaucoup accèdent à des postes de responsabilité, notamment dans la vie politique : Donald Trump aux États-Unis, Boris Johnson en Angleterre, Jair Bolsonaro au Brésil et au moins cent autres. Le cas d’Emmanuel Macron reste discuté : tout porte à penser qu’il s’agit effectivement d’un alien, mais il prend si peu la peine de s’en cacher qu’on peut légitimement en douter. Ils ont en commun une absence totale de convictions et d’affect, une capacité surnaturelle à séduire les foules, un usage compulsif des jeux vidéos sur leur smartphone. Leur but est de détruire l’humanité, ce qu’ils vont probablement réussir à faire assez vite. Oui, mais après ? À quoi ressemblera la planète aux mains des aliens ? Eh bien il y a fort à parier qu’elle ne sera pas très différente : un environnement saccagé, un marché fluide et sans contraintes, des concours de l’Eurovision, des joueurs de foot surpayés, des voitures électriques infoutues de faire plus de 300 km sans recharge, des meubles Ikéa auxquels il manquera toujours une vis.

Il nous faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé, mais la tâche semble insurmontable : le cauchemar a bel et bien commencé et tout le monde s’en fout. Peut-être sommes-nous plongés, à l’image des personnages de Matrix, dans une réalité virtuelle qui nous masque la vraie. Il faudrait aller débrancher les machines responsables de cette simulation mais, à l’inverse de Matrix, il n’est pas sûr que nous en ayons envie. Dans un monde sans dieux, sans rêves et sans horizons, le paradis numérique n’est-il pas le meilleur endroit où vivre ?

Le dernier rebelle, ce fut Arnold Turboust qui, dès 1987, prévenait dans Les Envahisseurs :

Les envahisseurs, les envahisseurs nous ressemblent
Mais n’ont pas de cœur et je tremble,
Oui j’ai bien peur, oui j’ai bien peur
Que tu sois des leurs.
Les envahisseurs nous ressemblent
Mais n’ont pas de cœur et je tremble,
Oui j’ai bien peur, oui j’ai bien peur
Que tu sois des leurs :
Tu es sans cœur !

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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