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La conteuse aux pieds nus
| 16 Jan 2023

La conteuse aux pieds nus avance comme avance pieds nus son personnage, Gwynplaine, un enfant de 10 ans abandonné par des voleurs d’enfants un soir d’hiver, en 1690, dans le golfe de Portland, « âpre montagne de la mer ». L’histoire est empruntée à L’Homme qui rit, de Hugo.

Elle : Ariane Pawin, souche franche, massive, mains papillons soudains. Puissante et légère, précise. Elle esquisse net « un grand bras sortant de terre (…) ce bras, ce pouce, cet index [qui] dessinaient sur le ciel une équerre. » C’est un gibet, où pend un contrebandier goudronné pour l’exemple. Gwynplain regarde « la bouche qui était un trou, le nez qui était un trou, et les yeux qui étaient des trous ».

Du texte de Hugo, tantôt sublime et tantôt bête – de cette bêtise que raillaient Flaubert ou Barbey d’Aurevilly –, Ariane Pawin a gardé le meilleur. Des interminables digressions, elle fait des adresses familières au public: « Tu sais, on plaisantait pas avec les contrebandiers à l’époque. » Ça passe ou ça casse. Ça passe plutôt bien.

C’est du conte, c’est du mime, c’est de la peinture aussi. Sur le plateau nu, la conteuse fait voir « la terre blanche de neige », « la mer blanche d’écume », « les tourbillons de neige fine », « les grandes plaines ternes ». Marien Tillet est aux lumières. Marien Tillet, c’est l’un des chefs op’ les plus doués des spectacles de conte – disons de théâtre-récit, et pas seulement par snobisme. Il excelle aux cadrages larges, mais aussi – désireux d’établir « une relation avec le spectateur du dernier rang » – aux modelages fins du visage, comme s’il filmait en gros plan et fermait à l’iris.

La dernière image qu’on emporte, c’est du cinéma : Ariane Pawin est devenue Ursus, le bougon bougre au grand cœur qui accueille dans sa maison chaude Gwynplaine transi et tenant dans ses bras un bébé qu’il vient d’arracher aux bras d’une mendiante enfouie sous la neige. Ah, le mélo hugolien! Mais non, pas là. Un pinceau de lumière chaude sur le visage d’Ursus, et il suffit d’une seule phrase de sa verve croquemitaine pour le transformer en gentil pas niais: « Mange, sinon je te jette à la porte! »

 

Une nuit à travers la neige, par Ariane Pawin, d’après L’Homme qui rit de Victor Hugo, le 20 janvier à 20h30 à la Médiathèque François Villon de Bourg-la-Reine (92) et le 25 janvier à 10h au Collège Paul Klee de Thiais (94)

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