Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
S’il est bien quelque chose qu’on ne saurait reprocher à Manuel Valls, c’est d’avoir manqué de vision, d’ambition pour son pays. Malheureusement son génie n’a pas été reconnu à sa juste mesure. Les gens sont cruels, c’est ainsi.
D’autres grands hommes ont connu pareille déconvenue avant lui, et non des moindres : Clémenceau, Churchill, de Gaulle. Napoléon, surtout, celui dont le mouvement de menton toujours projeté vers l’avenir anticipait le plus l’énergique allant du retraité d’Évry.
Une ambition trop grande pour un pays trop petit, un projet trop avant-gardiste pour une population trop frileuse.
Défense de la souveraineté nationale, intransigeance face aux hordes mahométanes qui viennent emburkinner nos plages, rempart contre les marmailles balkaniques inassimilables : Manuel, tel un Charles Martel des temps modernes, aura payé de sa salive et de son temps d’antenne pour promouvoir un idéal politique trop en avance sur son temps pour être compris des siens. On mesure l’amertume du récent pourfendeur de l’article 49.3 de la Constitution, autre combat épique qu’il n’aura, hélas, pu mener à son terme.
L’exil est un moment propice à la méditation. L’Empereur, dit-on, a lu comme jamais à Sainte-Hélène. Manuel Valls, ayant une stature comparable à son lointain mentor, a pris des vacances que l’on imagine également insulaires pour se remettre de l’ingratitude dont il fait l’objet. Il saura mettre à profit les longs mois, sans doute les longues années, peut-être les lustres qui le séparent d’un retour sur le devant de la scène métiatico-politique. Privé de cabinet, arraché à l’affection de ses conseillers, il serait fâcheux qu’il manquât de suggestions de lecture. Il y a bien sûr les lectures obligées, trop évidentes pour être rappelées : le Mémorial de Sainte-Hélène, les œuvres complètes de Milton Friedman, une ou deux biographies de Margaret Thatcher, un roman-photo sur les vacances au Texas de Tony Blair, la relecture exhaustive des comptes rendus de séance de la Fondation Saint Simon et des notes de frais de son ami Alain Bauer ou l’intégralité de la Loi « Travaille ! » rédigée en alexandrins à quatre mains par Emmanuel Macron et Myriam El Khomry.
Il fallait donc, pour que l’ordonnance puisse prétendre à quelque effet, trouver un conseil de lecture plus ambitieux, un ouvrage qui permette au patient d’étoffer son projet et de parfaire sa technique de gouvernement. L’Atlas des îles abandonnées, de Judith Schalansky (Arthaud, 2010), semble à la mesure du chantier. Ancré dans une expérience européenne, cet Atlas a, tout comme Manuel, une projection planétaire. Il propose un vaste choix de lieux propices à une traversée constructive du désert, à la refonte d’un destin trop tôt brisé. Disons-le d’emblée : les îles qui y figurent étant de nationalités très diverses, une sélection s’imposait presque naturellement. L’Île de la Déception pouvait sembler appropriée. Elle est malheureusement affectée d’une identité incertaine, comme l’ensemble de ces terres antarctiques, trop interlopes pour notre patriote. L’île Macquarie ne pourrait être plus indiquée pour le cas qui nous occupe : « Sur chaque baie, sur chaque plage, les épaves des navires pourrissent sous un tapis d’herbes clairsemée », elle qui aurait pu inciter la carcasse abîmée du néo-socialisme à un sain et salutaire exercice d’introspection. Mais le drapeau qu’agitent les vents déchaînés de cette île longitudinale est australien. Or, c’est du bleu-blanc-rouge qu’il nous faut.
Le chantre de la grandeur de la civilisation française aura bien à cœur de faire rayonner la République au cœur des océans, mais il ne pourra le faire, on le comprend, que dans des eaux territoriales, fussent-elles lointaines. Dès lors plusieurs options s’offrent au patient pour entamer sa convalescence. Entreprendre de revendiquer le retour à la France des îles Malouines, toujours disputées entre la perfide Albion et la lointaine Argentine est peut-être un peu prématuré. Mieux vaudrait se concentrer sur des territoires qui à la fois portent fièrement les couleurs de la République une et indivisible si chère à son cœur et présentent un réel enjeu de civilisation. Clipperton serait un bon choix : l’ancienne Île de la Passion fait ondoyer la bannière tricolore sur les lames du Pacifique Nord, apportant le génie français à la faune corallienne, diffusant les idéaux des Lumières grâce à ses dauphins, véritables hussards aquatiques de la République. Bon choix en vérité que Clipperton, qui porte sur son kilomètre carré et demi le souvenir d’un temps où la France savait faire respecter ses droits face au communautarisme obscurantiste. Le lieu manque cependant d’épaisseur épique : son lagon d’eau douce et laïque a été arraché de haute lutte au début du XXe siècle au catholicisme mexicain. Si l’on ose dire, la messe est dite : le génie français y flotte désormais fièrement et sans réelle opposition.
Sans préjuger du choix forcément judicieux du lecteur Valls et sans vouloir orienter trop avant la cure prescrite dans la présente ordonnance, l’île Tromelin semble réunir toutes les conditions requises. Perdue – mais fièrement, hein – au nord-est de Madagascar, sur la route des cyclones qui sillonnent cette partie de l’Océan Indien avec une régularité bizarrement suisse, l’ancienne Île des sables est surtout connue pour le destin tragique des esclaves malgaches embarqués pour l’ancienne Île de France (l’actuelle île Maurice) par un capitaine un peu trop intrépide, peut-être soucieux d’apporter un complément de financement à quelque campagne électorale, à moins qu’il n’ait voulu arracher son chargement humain aux ténèbres de l’ignorance des hautes vertus de la nation française. Son bâtiment, l’Utile, y sombra le 17 novembre 1760, laissant à leur sort marins et esclaves. Seuls les premiers purent réembarquer à bord d’un esquif dont la tradition ne dit pas s’il s’appelait Solférino : on sait juste qu’il prenait l’eau et penchait dangereusement à tribord. Tromelin réunit donc toutes les conditions pour permettre à l’amiral Valls de redresser la barre : il n’aura pas échappé au lecteur que ce lointain bout de souveraineté, ancien camp de rétention providentiel, a failli être englouti dans un naufrage anti-patriotique du françois-hollandisme finissant – au grand dam de notre patient, naturellement, qu’on ne saurait sans mauvaise foi rendre comptable des années obscures du quinquennat passé tant il n’y a pris qu’une part modeste. Le 17 janvier 2017, les députés ont failli avoir à se prononcer sur la cogestion de Tromelin avec l’Île Maurice ! La patrie était en danger. Or, la République est et doit rester une et indivisible, et ce confetti garder ses trois couleurs.
Tromelin peut à bon droit être considéré comme un concentré de France, un condensé de République, le laboratoire idéal pour mettre au point la doctrine manuel-vallsiste du futur, élaborer ses grands principes et tester ses mesures prioritaires.
La situation géopolitique de cette France flottante ne pourrait être meilleure : Tromelin constitue le rempart idéal contre le déferlement musulman, la barrière rêvée contre la menace que fait peser sur les eaux laïques des îles éparses la dérive islamique des Maldives (presque) voisines. Ses plages désertes constituent un terrain d’essai grandeur nature pour tester – littéralement – contre vents et marées la mise en application de la laïcité intégrale. Notre patient pourrait ainsi retrousser les manches de ses chemises immaculées et revêtir gilet pare-balle et carnet à souche pour verbaliser ses muses Élisabeth Badinter et Caroline Fourest accourues pour lui servir de population cible, et opportunément revêtues pour l’occasion du burkini honni de l’anti-France balnéaire.
Ses rivages permettraient de mettre à l’épreuve l’intransigeance d’une politique de surveillance nécessaire des frontières et de placer en garde-à-vue prolongée les tortues marines extra-communautaires débarquant par milliers pour pondre leurs œufs dans le vain espoir de voir leur descendance devenir française et profiter des avantages de la République que le monde entier nous envie. Manuel pourrait le clamer haut et fort : Tromelin, ce n’est pas l’Allemagne, les tortues marines sont incompatibles avec la République, la micro-France des sables est engagée dans une guerre de civilisation, no pasarán !
Christophe Giudicelli
Ordonnances littéraires
Judith Schalansky, Atlas des îles abandonnées (préface de Olivier de Kersauson), traduit de l’allemand par Élisabeth Landes, Arthaud, 2010
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