Demain, encore, il y a manif. Des milliers d’hommes et de femmes vont s’armer de courage, enfiler des vêtements chauds, partir marcher.
Certains se muniront d’une pancarte, d’autres non.
Pour marcher, encore et encore, envers et malgré tout.
Même si le pouvoir se bouche les oreilles, en chantant à tue-tête des airs à côté de la plaque, pour ne pas écouter, pour ne pas se laisser distraire, se laisser détourner.
Même si les cortèges peinent à être aussi joyeux qu’au début, que les forces de l’ordre se font plus menaçantes, que la fatigue guette.
Les manifestants, eux, poursuivent leur route.
Ils restent debout, encore.
Dans ce monde qui chancelle.
Et cela tient du miracle.
Parce qu’il le faut.
Pour dire ce qu’il faut bien dire. Encore et encore.
Pour ne pas tomber.
Et là, sur le chemin, parce que le hasard, c’est bien vrai, n’est jamais hasardeux, je croise un livre au titre à la fois beau et intrigant: Ce que tomber veut dire. C’est un roman d’Ana Negri, traduit de l’espagnol par Lise Belperron et publié aux éditions Globe.
On y tombe, certes, dans ce récit.
C’est un bébé qui tombe, ce sont des êtres qui tombent, ce sont des cendres de cigarettes, fumées à la chaîne, le regard fixe, au milieu de fantômes du passé.
Le passé, c’est la dictature argentine. Le présent, c’est l’exil d’une mère au Mexique, et de sa fille, née dans ce nouveau pays, mais qui porte – et ils pèsent – les fantômes de la mère.
On y tombe, on y reste aussi debout. On chancèle, oui, bien sûr. Avec les mots qui disent ce qu’il en est, ou qui ne le disent pas: « votre mère est très nerveuse », explique-t-on à la narratrice qui retrouve sa mère terrorisée sous une table, plus de trente ans après avoir échappé aux militaires.
Ce que tomber veut dire.
Et rester debout.
Et les mots qui le disent.
Pour poursuivre la route.
Pour peut-être rester debout.
Et cela tient du miracle.
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