puisqu’on ne peut plus qu’on n’en peut plus après vingt-et-une heures traverser la rue
j’arrive chez mes voisins avec mes cordes et mes tuyaux de poésie d’improvisation de composition instantanée
ils me reçoivent au fond de leurs pantoufles et me donnent presque tout ce qu’ils ont là-dedans
c’est un désordre coloré de nourritures d’alcools et de paroles où l’enfant rajoute deux verres brisés sur le sol bleu
les chats s’y poursuivent entre les meubles l’un s’appelle la vie l’autre la mort la mère dit que c’est la même portée
je fais là-dessus avec les cordes que je pince et les tuyaux dans lesquels je souffle du mickeymousing
(pour ceux qui ne connaîtraient pas le terme il désigne de la poésie qui court quand le cœur court et s’arrête quand il s’arrête rien de plus simple voyez-vous)
ma musique intérieure envahit l’écran du salon l’enfant rit les parents s’exclament quel charmant voisin
mais soudain je vois tomber le visage du père et je l’entends demander un peu plus de temps je compose un silence instantanément
(tomber le visage je l’ai dit sans y penser mais il me revient que je l’ai lu dans Requiem d’Anna Akhmatova
Et j’ai appris comment tombent des visages, écrit-elle, et ce verbe tomber en russe renvoie à la chute des feuilles je crois)
la mère dit qu’elle n’aura bientôt plus de son mari que les variations elle le regarde et l’enfant elle pleure et par mes cordes et mes tuyaux
je me demande ce que Bach aurait fait des variations Goldberg sans le thème je ris à l’absurdité pour échapper à la tristesse du sens
que puis-je faire tenez répond la mère emportez ces restes de tarte j’ai prévu beaucoup trop je prévois toujours trop j’ai peur qu’on manque
l’enfant me tend une girafe un requin et Batman par la fenêtre la tour Eiffel semble un hiéroglyphe égaré
pourtant je doute qu’il y ait jamais eu de grand texte enveloppant le monde comme un lange et dont ne resteraient que des haillons
je descends dans la pénombre jusque chez moi avec mes cordes et mes tuyaux de poésie d’improvisation de composition instantanée et les restes de tarte
tout cela sur la table je m’installe au piano qui remonte en noir et blanc le temps bien au-delà vous le voyez de mon arrivée chez les voisins
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