Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
Cette année, Le Salon du Livre a été rebaptisé “Livre Paris”, il s’est tenu au moment où le gouvernement cherchait (il cherche d’ailleurs toujours) à imposer une “Loi travail” et après que l’Université de la Sorbonne Nouvelle est devenue “Université Sorbonne Nouvelle”. Regardez bien, ce ne sont que trois exemples parmi bien d’autres mais comment nier l’évidence : il manque des mots. On ampute, on élague. Pourquoi ? Eh bien c’est par souci de simplification. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, tapez donc le terme sur Google. Là, le premier site référencé est celui du gouvernement (si, si, je vous assure : http://www.gouvernement.fr/la-simplification). On y apprend que la simplification, c’est un grand dessein (“Simplifier, c’est depuis trois ans le mot d’ordre du Gouvernement”), c’est un choc (“Moderniser l’État : le choc de simplification”), et c’est un projet porté par un Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la Réforme de l’État et de la Simplification, Jean-Vincent Placé (“Enfant, je l’avoue, je disais déjà que je voulais devenir cardinal ou ministre” [1]), qui a trouvé en ce plan ambitieux un lieu où mettre en œuvre ses solides idéaux, toute une vie d’engagement enfin récompensée, et ça fait chaud au cœur [Personnellement, je trouve que c’est une très bonne idée de nommer un écologiste à la simplification, car les membres de cette famille politique, en France, ont toujours été maîtres dans l’art de faire simple, il faut bien le reconnaître].
Alors vous voyez, tous ces gens qui disent que le gouvernement n’a pas d’idées, pas de projet de société, pas d’ambition…. exagèrent énormément, en fait. On a là une quête magnifique. Et ambitieuse, porteuse de rêves et de combats humanistes tels que la gauche a toujours voulu en mener. La simplification. Et n’allez pas dire que ce n’est que du bla-bla : le monde est bien trop compliqué, les gens ne sont pas contents, la tâche entreprise par le gouvernement est salutaire, et elle compte d’ailleurs déjà des résultats tout à faits probants. La simplification de l’orthographe est ainsi en bonne voie, tout comme celle de la géographie (on devrait avoir prochainement moins de régions, plus faciles à identifier : Hauts-de-France, Bas-de-France, Droite de France, Gauche de France,..). Ça bosse dur chez Jean-Vincent Placé. Et les félicitations pleuvent. Je lis sur le site du Medef que “Le Medef salue le premier pas vers plus de simplification…” ; d’ailleurs, le même Medef est “acteur de la simplification”. Je ne peux moi-même m’empêcher de me dire que notre vie sera drôlement plus chouette quand ils l’auront simplifiée.
Du coup, et sans doute parce que mon esprit un peu retors n’est pas encore passé par la voie pourtant éminemment souhaitable de la simplification, je voudrais prescrire à notre Secrétaire d’État un ouvrage pas du tout simplifié, ce qui lui permettra sans doute, à la lecture d’un tel désastre, de poursuivre avec plus d’acharnement encore sa noble tâche. Une lecture coup de fouet, en quelque sorte. Dans ce roman, les personnages enchaînent les aventures de façon, disons-le, assez désordonnée, à se demander si l’auteur a élaboré un plan un tant soit peu structuré avant de se mettre à écrire. Ils sont en outre constamment interrompus par d’autres personnages qui coupent la narration principale pour raconter leurs propres mésaventures. Parfois, aussi, nos protagonistes tombent sur un manuscrit, et hop, ils nous imposent la lecture de ces papiers, des histoires sans aucun rapport avec leurs propres aventures. On s’y perd, c’est peu de le dire. Sans compter le fait que le héros de l’histoire, tenez-vous bien, est fou, alors imaginez un peu la cohérence du récit. Il s’exprime en une langue extrêmement alambiquée et vieillotte, parfois incompréhensible même pour son acolyte, un brave type un peu rustre mais apparemment sensé, qui va cependant peu à peu être contaminé par la folie de son camarade. Par ailleurs, le livre est un très gros pavé, plus d’un millier de pages, compte une foule de personnages, de péripéties, d’anecdotes, pour l’esprit de synthèse, vous repasserez. Et puis les personnages se déplacent sans cesse, d’un côté, de l’autre, ça ne s’arrête jamais, et ajoutez à cela que tout est à revoir au niveau des moyens de transport utilisés : rosse efflanquée, âne buté, chevaux de bois supposément capables de voler dans les airs, etc… Dernière chose : l’ouvrage nous inflige le spectacle d’une violence – verbale et physique – très marquée, les coups pleuvent de façon continue (“Tout n’était que pleurs, cris, désordre, frayeur, douleur, estafilades, bastonnades, coups de pied, coups de poing, effusion de sang”) et certains ont l’air de trouver ça drôle (“Le chanoine et le curé riaient à se tenir les côtes, les archers sautaient de joie et excitaient les adversaires l’un contre l’autre, comme on fait pour des chiens qui se battent”). L’incitation à la violence n’est jamais très loin, ce qui en fait un ouvrage à éviter pour les enfants, les adolescents en voie de radicalisation, les étudiants un peu énervés, les chômeurs, etc…
Bref, tout est à revoir. Il y aurait là un bon boulot de simplification à faire, et c’est pourquoi je me permets de le recommander à M. Jean-Vincent Placé. L’ouvrage est espagnol, mais il est traduit en français depuis belle lurette, on le trouve aujourd’hui sans problème en livre de poche, plusieurs éditions disponibles [2]. Il s’agit de Don Quichotte de la Manche, de Cervantes. C’est l’histoire d’un hidalgo qui ne renonce jamais et surtout pas à ses idéaux (“… je parcours ces lieux inhabités à la recherche d’aventures, résolu à risquer mon bras et ma vie dans la plus périlleuse que le sort voudra bien m’envoyer, afin de venir en aide aux faibles et aux affligés”). Une vie d’engagement. Tout simplement.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
[1] Extrait de son autobiographie, écrite par avec un ancien journaliste du Figaro, intitulée Pourquoi pas moi ?, parue en 2015.
[2] Les passages cités plus hauts sont tirés de la traduction d’Aline Schulman, Paris, Seuil, 1997.
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