Battle verbale, comme diraient les rappeurs, mais pas absurde. Eugène Delacroix peignait, écrivait aussi. À George Sand entre autres. Yannick Haenel et Gaelle Obiégly déambulent dans le musée et font joute avec leurs phrases préférées du peintre.
Shlomo Sand : vous voulez vraiment que je parle de ça ?
Depuis Comment le peuple juif fut inventé, Shlomo Sand, historien, professeur émérite de l’université de Tel Aviv, est honni par les uns, qui voient en lui un ennemi de son pays voire de son peuple et l’ont mal lu ; adulé par les autres, antisionistes, qui l’ont souvent mal lu aussi. Il publie son premier polar, La Mort du Kazhar rouge, que l’on conseillera aux deux. Le roman, policier ou autre, a cet avantage : il échappe aux catégories et ouvre sur la nuance, l’intime. Et l’auteur. (Lire l’entretien)
Le sabre et le bouclier, comme un goût de guerre froide
C’est un passage d’une minute à peine, qui figure dans le troisième volet du documentaire prochainement diffusé par Arte, consacré au KGB en ses divers états. On y voit Vladimir Poutine, alors en passe de devenir président pour la première fois, s’adresser à un parterre de Kgbistes réunis à la Loubianka. « Chers camarades, je vous informe que le groupe d’agents que vous avez chargé d’infiltrer le gouvernement a accompli la première partie de sa mission… »
Rouge, deux fois
« Que les balles crépitent dans les musées ! » Dixit Maïakovski. Ce n’est pas vraiment l’ambiance au Grand Palais, même s’il faut longer les Champs Elysées, un peu calcinés, un peu bunkérisés, pour arriver devant les premières images qui attendent le visiteur : la prise du Palais. D’Hiver, s’entend, et filmé en 1928 par Eiseinstein. Mais ça crépite, et Maïakovski est bien là, qui déploya une folle énergie pendant ces quelques années de liberté créatrice où s’inventèrent l’agit-prop, et l’agitatsia, le design industriel et quotidien (presqu’au même moment que le Bauhaus), le suprématisme, le constructivisme, le théâtre moderne, de folles architectures. (Lire la suite)
Russie, trous de mémoires et trains fantômes
Roman de Vodolazkine, série Netflix sur Trotsky, documentaire géant en trois volets, exposition « Rouge » au Grand palais. On n’en finit pas de scruter la mémoire russe. Avec des résultats parfois surprenants. « Notre passé est imprévisible », écrivait Joseph Brodsky, et il n’avait pas tout vu…
Marronnages
Bernard Gomez photographie la Guadeloupe depuis une décennie. Sylvaine Dampierre, cinéaste, en collaboration avec Frédéric Régent, historien, président du comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, se sont chargés du texte, du contexte, et d’un indispensable glossaire, à lui seul une mine. Marronnages, lignes de fuite, un de ces livres aimés par ceux qui l’ont fait. (Lire le guide)
Péril en la demeure des écrivains
La Maison des écrivains et de la littérature mène une double vie. Rencontres permanentes d’écrivains et public, partenariat avec des universités, échanges et discussions qui culminent chaque année avec les Enjeux, quatre jours denses autour d’un thème. Le tout hors promotion, et avec des écrivains généralement intéressants, parfois rares. Sur un second versant (qui communique avec le premier) un travail de fond dans les collèges ou lycées (y compris le prix littéraire des lycéens). Moins visible, mais vrai travail de passeur. Celui dont régulièrement- et avec quelle nostalgie ! – on déplore la disparition.
Grâce à Dieu et la confusion des genres
Dans trois jours, Mgr Barbarin, archevêque de Lyon, sera fixé sur son sort judiciaire. Cité à comparaître avec cinq autres responsables ou proches du diocèse pour « non dénonciation d’atteintes sexuelles », il sera probablement relaxé. La condamnation, elle, est dans les 414 salles, où l’on projette le film de François Ozon, Grâce à Dieu. Intéressant chassé-croisé, qui voit un cinéaste filmer comme une partie civile et précéder la justice, tandis que des magistrats se font plus de souci pour le manque à gagner éventuel des producteurs que pour la présomption d’innocence. (Lire l’article)
Valérie Zenatti : le voyage à Czernowitz
Il suffisait de les avoir croisés ensemble une fois : ce qui unissait Aharon Appelfeld et Valérie Zenatti dépassait la complicité qui existe parfois entre écrivain et traducteur. Comme s’ils veillaient l’un sur l’autre. Comme s’ils étaient de la même famille. Après la mort d’Appelfeld, Valérie Zenatti était la seule à pouvoir écrire ce livre, de filiation et tendresse autant que de deuil. Dans le faisceau des vivants, aux éditions de l’Olivier. (Lire l’article)
Doggerland, beau comme la météo marine
Doggerland dure soixante siècles, vingt-deux ans et quarante-huit heures. Temps géologique et temps des amours humaines. Écriture de haute précision avec souffle poétique, aventure prométhéenne, rêverie insulaire : on embarque. (Lire l’article)
Cet été-là : les deux Edie sont de retour
Quarante-cinq ans après le tournage du documentaire culte Grey Gardens des frères David et Albert Maysles, qui fit le bonheur des soirées thématiques gay, inspira film et pièce de théâtre, le Danois Göran Olsson, en assemblant quatre bobines de rushes oubliés, réalise un préquel jubilatoire et nostalgique. On y croise Andy Warhol, Truman Capote, Mick et Bianca Jagger. Mais les vraies stars sont les deux Edie, mère et fille, qui auront connu bien plus qu’un quart d’heure de célébrité. (Lire l’article)
The Paper, l’Adriatique noire
Netflix le dit, The Paper (Novine) est la première série slave. Si l’on excepte toutefois l’indigeste The Teach polonais sur Canal+, qui ne raflera pas le prix du scénario. Mais The Paper, dont la saison 2 vient d’arriver est certainement la première série croate et la seule à être diffusée dans 190 pays. En faisant un tabac en Amérique latine. Peu ou pas de critiques en France à ce jour où l’œil se porte vers l’ouest, toujours : dommage, The Paper a les qualités des vrais romans noirs, atmosphère, personnages, envers du décor, plus un rien de baroque. (Lire la suite)
La Capitale de Robert Menasse : roman hypereuropéen
Les livres drôles, déjà, c’est rare. Plus encore lorsqu’en interface ils peuvent être déchirants, plongée dans l’inconscient collectif européen. En bonus, apanage des grands livres : on peut même ressentir une bouffée d’optimisme, tempérée par une vigilance sans faille. De ce point de vue, on peut faire confiance à Robert Menasse. (Lire l’article)
God save the spleen !
Lorsque les temps sont durs, et ils le sont souvent pour elle, Theresa May se replonge dans Jane Austen. Qui traitait avec grâce de l’économie, matrimoniale du moins. Mais les divorces, même européens, dépassent toujours les affaires matérielles. Deux auteurs, Graham Swift et Jon McGregor, bien contemporains, eux, viennent à point rappeler que les livres se moquent des no deal. Et ce que l’on aime tant, dans la littérature anglaise. (Lire l’article)
De quoi L’Amie prodigieuse est-elle le nom ?
Ça ressemble à un film néoréaliste, mais ça n’en est pas un (même lorsqu’une scène sort tout droit de Rome ville ouverte). Ça à l’allure d’une vaste fresque sociale, mais n’en est pas tout à fait une (trop lissée). Tout comme les livres d’Elena Ferrante ont un air de chef d’œuvre mais n’en sont pas vraiment. Co-produite par HBO et la RAI, l’adaptation en série du premier tome de la tétralogie à succès, L’Amie prodigieuse, est arrivée sur Canal+ à la mi-décembre. (Lire le guide)
Il Miracolo, une histoire du trouble
Dieu, ces derniers temps, visite souvent Arte et c’est tant mieux. Après Au nom du père, co-production avec le Danemark, et son ravageur pasteur, voici Il Miracolo, co-production avec l’Italie, avec sa vierge en plastoc qui pleure des litres de sang. Serait-ce un rien passéiste ? Parce que l’Italie, là, semble moins habitée par les miracles de la madone que par de bons vieux démons. Erreur. (Lire le guide)
Didier Eribon, comptes de Noël et de la nouvelle année
Après l’apnée des fêtes, les gilets jaunes descendent lentement en Une des journaux. Bon moment pour ouvrir ou rouvrir un livre paru il y a dix ans pile, Retour à Reims, de Didier Eribon. Ou aller au théâtre : la pièce adaptée du texte par Thomas Ostermeier va être jouée pour la première fois en France. (Lire l’article)
Saisir de Jean-Christophe Bailly, lecture aérée
Quatre aventures galloises. Plus une. Courant continu de l’écriture et de l’empathie avec des artistes, elle est celle des déplacements intérieurs et tout à fait réels de Jean-Christophe Bailly au pays de Galles, en grande compagnie. (Lire l’article)
Le pacte d’Adriana
Le Pacte d’Adriana, premier film réalisé par Lissette Orozco, intime, bousculé, avec vidéos familiales bancales, où certains parents ont fait flouter leurs visages, avec longues conversations par Skype, portables… est une investigation erratique et cruelle au sein d’une famille portée sur le silence, et d’un pays qui oublie.
Au nom du père
Ce pourrait être une saga nordique en dix épisodes, avec pasteurs, cols tuyautés, culte dépouillé ; la vibration intense des désirs humains confrontée à l’austérité luthérienne, sur fond de boiseries pastel et haute bibliothèque, tablée familiale, près de ces fenêtres lumineuses comme on les aime là-haut. Au nom du père est tout cela, entre autres.
Patrolin : J’ai décidé d’arrêter d’écrire
On ne se méfie jamais assez des écrivains à la langue fluide. C’est beaucoup de travail ingrat. Ainsi Patrolin, l’auteur, décide-t-il de cesser. Vivre le monde, sans se balader avec des trucs notés sur des facturettes, des courriers du gaz, la marge du journal, avec cette ambition, mettre en mot l’instant, le bruissement des feuilles, l’idée traversante, la rue. Laisser vivre le monde. J’ai décidé d’arrêter d’écrire serait donc l’histoire d’une désintoxication. Il y a double bind romanesque : l’écrivain se tait, tandis que le narrateur rapporte le détail du renoncement. Mais ils ne font qu’un. (Lire l’article)
Épopée
En juillet dernier, au festival cinématographique de La Rochelle, le jeune réalisateur Emmanuel Gras recevait le prix du cinéma Art et essai pour son film documentaire Makala, sorti en 2017 et ainsi assuré d’une seconde sortie, largement méritée.
La crise en vers libres
Essai ? Vers libres, yiddish et humour ? Les Frères Lehman de Stefano Massini est une formidable histoire du capitalisme, du passage progressif du commerce à la finance, du métrage de tissu palpé à l’impalpable de la spéculation.
Paris photo : déambulation féminine
Le salon Paris photo, qui est certes une foire, est aussi l’occasion d’admirer des travaux exceptionnels, ou de découvrir de nouveaux talents. Cette année, déambulation féminine qui ne prétend pas retracer toute l’histoire de la photographie mais organise un parcours depuis les pionnières aux dernières arrivantes, en passant par les battantes des années 70.
Emmanuelle Richard, pour ceux qui traversent beaucoup la rue
À Emmanuel Macron, une success story enragée d’Emmanuelle Richard qui n’a pas attendu la présidentielle admonestation pour traverser les rues. Pas le choix, à vrai dire. Ainsi le premier magistrat de France pourra-t-il remédier à sa coupable désinvolture et apprendre qu’il faut toujours regarder à gauche avant de traverser.
Babylon Berlin, Schneidermann : tourbillon et sidération
“Les années 30 nous obsèdent”, écrit Daniel Schneidermann dans Berlin, 1933. Entre Babylon Berlin, série à succès qui fait du bruit et un livre qui dépiaute les silences de la presse internationale dans l’entre-deux guerres : dialogue. (Lire l’article)
Lettres d’Israël
Le festival Les Lettres d’Israël se déroule sous le haut patronage de l’ambassade d’Israël. Sélection d’auteurs triés sur le volet du soutien à la politique gouvernementale ? Justement pas.
Famille, humour et patrimoine
Dans la série danoise Les Héritiers diffusée sur Arte, il est bien sûr question d’argent, de pas mal d’argent : un manoir de belle taille avec terres, et les œuvres de Veronika Grønnengaard, artiste contemporaine cotée au plus haut. Mais quand on parle d’argent, surtout en famille, on parle toujours d’autre chose.
Trouville Song
23e édition des Rencontres Marguerie Duras à Trouville. Pour aficionados, mais pas seulement.
Dovlatov, la revanche d’un invisible
Jamais publié en Union soviétique de son vivant, exilé à New York où il est mort en 1989, l’écrivain russe Sergueï Dovlatov a connu une scoumoune éditoriale hors pair. On peut dire que, depuis, le monde se rattrape. Succès durable en Russie, thèses sur son œuvre aux États-Unis, texte adapté au théâtre par Peter Stein, festival Dovlatov, prix Dovlatov, statue de Dovlatov dans la rue de Saint-Pétersbourg où il vécut et, cette année, un film d’Alexeï Guerman Jr couronné à Berlin, vendu dans trente pays et à Netflix. Qui pourtant ne raconte qu’une semaine assez morne dans la vie de Dovlatov, géant au regard velouté, héros bartlebyen. (Lire l’article)
Programme dense à la Maison de la Poésie
Roberto Saviano parle de son nouveau livre, Baby gangs (Gallimard). Vincent Dedienne lit Fou de Vincent, d’Hervé Guibert. Nina Bouraoui parle de ses deux pays et de deux époques. Programme dense à la Maison de la poésie en octobre…