À dix ans d’intervalle, en 1982 et 1992, Gilles Walusinski s’est rendu à Brest pour honorer deux commandes du ministère de l’Équipement. Deux travaux documentaires, l’un dans le cadre d’une campagne de réhabilitation de logements insalubres, l’autre autour du thème Le port et la ville.
Dernière séquence du travail à Brest en août 1992 pour la commande publique passée par le ministère de l’Équipement à six photographes : Le port et la Ville. Ces vues panoramiques ont été pour moi une expérience nouvelle. L’appareil Horizont évoqué dans le précédent épisode produit des images intéressantes si on prend garde à maintenir l’horizon, comme l’évoque son nom, au centre de l’image. Le niveau à bulle intégré au viseur de l’appareil assure au photographe qu’il maintient le dos et donc le film bien vertical. Les lignes droites de part et d’autre de l’axe horizontal sont déformées, résultat de la projection de l’image sur un cylindre. L’objectif grand angle de 28 mm fabriqué par Zenit en URSS est excellent, donnant la netteté de près jusqu’à l’infini, sans qu’on ait à faire de mise au point.
La ville est plus difficile à apprivoiser avec un angle de 140 degrés et la contrainte imposée à la composition de l’image par l’horizon médian. En 1992, l’électrification de la ligne SNCF avait été prolongée jusqu’à Brest. Les caténaires modifiaient les paysages de 1982 et les garde-fous bordaient les passerelles, la sécurité n’étant pas fille de l’esthétique… Les voiles devant la gare apportaient la note de modernité architecturale que la ville voulait souligner. Les quelques personnes pressant le pas pour attraper leur train datent par leurs vêtements l’époque de la prise de vue.
Le port au mois d’août était en quasi-sommeil et la liberté d’y circuler n’était entravée par aucune barrière, aucun interdit sécuritaire. Les pêcheurs à la ligne, souvent très jeunes, pouvaient même s’abriter du soleil, ardent cette année-là, sous des quais de béton apparemment délaissés.
La tentation m’est grande de laisser parler les photographies. À la livraison de ce travail, le commanditaire n’a pas apprécié la simplicité du style documentaire. La mode voulait – cela perdure aujourd’hui – que le photographe affirme sa « démarche artistique ».
Faut-il attendre trente ou quarante ans pour qu’une photographie devienne lisible en accord avec les intentions de son auteur ? Me demandant il y a déjà vingt ans ce qu’étaient devenus les tirages de l’exposition « Dix photographes pour le patrimoine », commande de 1980 du Ministère de la Culture, il me fallut enquêter plusieurs mois. Le responsable de l’époque, retraité mais encore lucide, m’assura qu’il les avait confiés à la Bibliothèque Nationale. La conservatrice en chef me dit alors qu’elle allait chercher. Quelques mois plus tard, elle m’assura les avoir trouvés sur ses fiches. Intrigué par sa réponse bien imprécise, je continuai mes recherches pour apprendre finalement que le responsable les avait légués à la Fondation nationale de la photographie, à Lyon. Cette fondation, créée au moment où Raymond Barre était Premier ministre, avait été dissoute en 1992 et son fonds confié à la bibliothèque municipale de Lyon par la liquidatrice. C’est bien là que sont archivés l’ensemble des tirages qui avaient été exposés au Centre Pompidou au printemps 1980.
Cette anecdote donne à réfléchir sur les intentions de ceux qui passent des commandes publiques, les souhaitant prestigieuses à leur lancement. Il me paraît essentiel qu’une commande publique ne soit pas qu’un maillon de la communication institutionnelle ou politique du moment, ou pire encore, l’expression de l’ambition d’un responsable en poste à un moment donné. La photographie est documentaire par nature. Ce genre de commande publique trouverait son sens s’il pouvait se renouveler à intervalles réguliers, devenant un outil de connaissance et un enrichissement du patrimoine culturel.
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