Les mots de notre quotidien, anodins ou loufoques, parfois nous font de loin un petit clin d’œil, pour nous inviter à aller y voir de plus près. Mot à mot, une chronique pour suivre à la trace nos mots et leurs pérégrinations imaginaires.
Rien de plus enfantin ni de plus plaisant que le jeu de cache-cache. Les règles en sont simples : plusieurs personnes se cachent d’une autre qui, après avoir attendu quelque temps en comptant tout haut, se met en devoir de découvrir leur cachette.
Il y a donc, c’est tout l’objet du jeu, un but : il faut retrouver les joueurs. S’ils sont trop bien cachés, ça devient ennuyeux : ce n’est pas là l’objectif.
Il y a également, à chaque fois, une personne qui, elle, ne se cache pas, mais qui cherche les autres. Forcément, si tout le monde se cachait, quelle absurdité ! Il n’y aurait plus de jeu non plus.
Toutes ces précisions pour bien différencier ce bon vieux jeu de cache-cache d’une attitude, une mode, je ne sais pas trop, que l’on observe en ces temps de gestes barrière, de port de masque et de con-décon-recon-redécon-rerecon-finement… (oui, je sais, c’est un peu compliqué, et très lassant…)
Bas les masques
Je veux parler de cette façon particulière et de plus en plus répandue que tout le monde a de retirer son masque, ou pour être plus précise de le retirer sans le retirer tout à fait : de l’abaisser sous le menton, que ce soit à la va-vite, lorsqu’il n’y a personne alentours et qu’on en profite pour respirer, ou pour une durée plus longue, lorsqu’on rentre dans sa voiture ou même chez soi, et de le laisser là, toujours sous le menton, où il n’est pas plus mal qu’ailleurs, et où il finit par faire pour ainsi dire office de cache-col. Comme en ce moment il fait froid, c’est bien pratique. Et puis on s’y fait, comme on se fait à tout, à moins, mais c’est absolument inavouable, qu’on ne trouve ça seyant. On en vient donc à l’y oublier volontairement (ce qui est un exploit, conceptuellement parlant). Oserais-je dire que c’en serait presque agréable à la longue, de sentir son contact léger, chaleureux, et délicatement rassurant… ?
Avec le port du masque baissé, indiscutablement, une nouvelle étape est franchie dans l’univers du stylisme. Mais là où l’utilisation du masque-cache-col m’intéresse, c’est plutôt linguistiquement et même sociologiquement parlant.
Pourquoi donc ? Hé bien parce qu’ on entend « cache », ce qui met en évidence une des fonctions essentielles du masque qui est précisément, et avant tout usage sanitaire ou hygiéniste, de cacher, et non de protéger.
Garder son masque autour du cou, au lieu de le retirer tout à fait, c’est être toujours prêt à se cacher, à le déplier tel un petit paravent bleuté derrière lequel se soustraire aux yeux du monde.
On garde son masque-cache-col comme on garde son manteau lorsqu’on rend visite à quelqu’un auprès de qui l’on n’a aucune intention de demeurer : je ne vais pas m’attarder, je ne fais que passer… PFUUIITT ça y est, on a remonté son petit accordéon de papier, on s’est éclipsé, on a disparu.
On tire son masque comme on tire un rideau
Mais le masque cache-col, comme tout bon masque, cache et révèle à la fois. En l’occurrence, il révèle notre tendance –il ne faut pas nous pousser beaucoup– à nous isoler, nous distancer, nous proscrire nous même pour ainsi dire. En somme, nous désocialiser. Oui, voilà, c’est un petit suicide social.
Suicide social
Pour commencer, sous le masque, on entend moins bien. Et pas seulement parce que notre interlocuteur, lui-même masqué, est à peine audible, mais parce que, par un curieux effet de contagion, en devient un peu sourd. Exactement, on comprend moins bien, je crois même qu’on devient un peu bête.
On y voit moins aussi, bien sûr, vu que le visage de l’autre –enfin ce qu’il en reste– nous interdit de saisir ces mimiques et changements d’expression, ces petits plissements, ces minuscules étincelles, qui le rendent vivant. Impossible désormais d’instaurer une complicité, de naviguer dans les sillons ou les présages d’émotions changeantes, passagères, qui font finalement qu’on se comprend.
Le masque cache-col dit tout cela : l’obsession de la barrière et de la protection, le frileux repli sur soi, l’isolement et l’indifférence, le mutisme, pour finir, de l’individu.
Nous allons chacun-chacune dissimulé en tout lieu dans notre minuscule cachette ambulante, oubliant peu à peu ce que parler veut dire, ce que se comprendre veut dire, nous efforçant de moins en moins de déchiffrer l’autre. Car c’est cela le pire, dans ce nouveau jeu de cache-cache, jeu de dupes qui n’est plus drôle du tout : chacun caché, chacun pour soi, sans personne pour chercher l’autre…
Jacqueline Phocas Sabbah
Mot à mot
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