par un jeu de mots qu’elle savait qu’on trouverait facile et peut-être même de mauvais goût, indigne en somme d’une poétesse, mais qui exprimait selon elle parfaitement, c’est-à-dire dans une forme imagée, précise et économique comme un proverbe, un dicton, une épitaphe, la manière singulière dont elle s’abandonnait à l’inspiration, elle disait qu’au commencement de son temps d’écrire, pour mettre un terme au temps de toutes les autres activités, elle s’allongeait sur le dos, immobile comme un cadavre, et attendait que lui viennent les vers, que viennent à elle les vers et qu’ils l’habitent c’était ça, disait-elle, et l’air dégouté, réticent ou désapprobateur de ceux qui l’écoutaient ne lui échappait pas, c’était ça se mettre à écrire, commencer cette chose qu’on pensait exquise et délicate, un poème, c’était ça, seulement ça et tout ça, se livrer cadavérique et comestible aux vers, aux vers, à leur grouillement, à leur musique, à leur rythme, à leur appétit
toute ma vie mon corps offert
à la peau des chênes
à la pluie d’été
à la bauge des sangliers
aux déhanchés de l’Atlantique
aux corps pareils ou dissemblables
au mien
à l’aplomb du soleil
à l’œil
aux lentes introductions
à la lumière horizontale du matin
à tous les vents
au tout venant
au long baiser de la moiteur
à la langue française
à l’étau du gel
puis au linceul
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