La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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A room without a view
| 01 Mai 2023

Et ce soir-là, quelques heures durant, quatre, cinq, je ne leur donnai pas de nouvelles. Aussi, lorsque je les appelai quatre, cinq heures plus tard, au sortir du cinéma, pour leur dire que les rues de la ville qui grouillaient de touristes quatre, cinq heures plus tôt, étaient désertes, le pavé luisant flaqué de la lumière jaune orangé des réverbères, pour leur dire de ne pas m’attendre, leur souhaiter bonne nuit, ils me battirent froid. Le froid de la mort. Il est mort, ils avaient pensé il est mort. Il ne pouvait en être autrement. Silencieux, je ne pouvais qu’être mort. Pas un peu autre, distrait, affairé, oublieux, non, forcément tout autre, à l’extrémité de l’altérité, non vivant, mort. Même pas l’idée d’un incident, mon téléphone tombé dans les toilettes, ou plus de batterie. Je rentrai sans faire de bruit. Je dormis mal. Je ne parvenais pas à soulever la dalle de la pensée qu’être vivant, pour eux, c’était être pareil à ce qu’ils avaient prévu, dans les clous de ce qu’ils trouvaient juste, et que pour peu qu’on s’écartât de leurs attentes, on était mort, et eux morts d’angoisse, ou l’inverse plutôt. Comment leur dire. Leur dire ça. Leur dire quoi d’ailleurs exactement. Que je n’étais pas mort. Pas dans le tombeau où ils me mettaient à grande vitesse là. Qu’ils me laissent vivre. Que je n’étais pas vivant comme eux. Et que quand je serai mort, pas non plus comme eux. Et au matin, leur tête triste. Leurs yeux mouillés d’amour. Leur silence. Je leur demandai pardon. De mon silence. De mes mauvaises pensées. Lesquelles ? Celles de la nuit. Et puis plus jamais si longtemps sans nouvelles. J’ai promis.

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