Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Édouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.
En 2009 fut publié un curieux roman que son éditeur présenta alors comme « une œuvre s’inscrivant dans la tradition de ces récits épurés, sobres et parfaitement maîtrisés, en un mot classiques, qui, depuis le dix-septième siècle, ont fait la gloire de nos lettres ». Le titre en était La Princesse et le Président, et l’auteur rien moins que Valéry Giscard d’Estaing. La chose contait la passion amoureuse d’un président de la République (Jacques-Henri) et d’une princesse britannique (Patricia), personnages derrière lesquels il n’était pas difficile de reconnaître Giscard et Lady Diana. Il s’agissait évidemment de fiction mais l’épigraphe énigmatique qui ouvrait le livre – « Promesse tenue » – faisait planer un parfum de trouble, d’autant que cette épigraphe semblait répondre à la dernière phrase du roman : « Vous m’avez demandé l’autorisation d’écrire votre récit, me dit-elle. Je vous la donne ! Mais faites-moi une promesse… ». Quelle était donc cette promesse, en principe tenue ? Et à qui fut-elle faite : au personnage du roman ou à son modèle ?
La réponse à la première question vient d’être donnée par Bernard Fixot, éditeur et gendre de l’ex-président : la promesse était de supprimer de l’ouvrage un passage dont le lecteur aurait dû se repaître vers la page 163. Il s’agissait d’une scène torride, écrite dans une langue étonnamment crue, qui avait pour cadre le salon des aides de camp, à l’Elysée. Giscard y décrivait « la croupe dorée de la Princesse sur laquelle jouaient innocemment les derniers feux du couchant comme des enfants oublieux des menaces de l’orage qui approche ». Puis le récit devenait vif et haletant. Le président, pantalon sur les chevilles, courait vers la princesse allongée nue sur une bergère mais, se prenant les pieds dans un tapis des Gobelins figurant un grand arbre de Jessé, il s’étalait de tout son long sur la jeune femme. Le livre donnait alors à entendre des propos d’une incroyable crudité : « Le sexe de Jacques-Henri trouva naturellement son chemin entre les cuisses de la princesse sans que celle-ci ne s’en émeuve considérablement. Ou disons que l’émotion de celle-ci ne fut que celle du plaisir. Dans les yeux de Patricia, la surprise fut en effet vite remplacée par le désir, et Jacques-Henri sentit se refermer autour de son sexe dur des lèvres fermes et avides. Il considéra cela comme un assentiment. Il était de toute façon un peu tard pour faire machine arrière. »
La suite est de la même eau :
« Ah, prends-moi, vilaine bête, prends-moi fort, jappait la princesse de sa voix flûtée, tandis que le président donnait de violents coups de reins en rugissant comme un lion. L’étreinte fut brève et violente. Quand Jacques-Henri, encore en érection, roula sur le côté, ce fut pour s’apercevoir avec effarement que toute la scène avait eu lieu sous le regard d’une caméra de télésurveillance installée dans l’angle du salon. Il faudra faire effacer ces bandes avant que leur contenu ne finisse sur Internet, se dit-il avec un détachement qui le surprit lui-même. »
En lisant ces lignes, fort étonnantes sous la plume d’un ancien titulaire de la magistrature suprême, on se demande si la promesse faite n’était pas plutôt celle de faire disparaître les enregistrements (on peut également se demander si Giscard n’en a pas gardé une copie tant sa description de la scène est précise). Les théoriciens du complot iront même jusqu’à s’interroger : la mort mystérieuse de Lady Di n’est-elle pas en rapport avec cette affaire ? Y a-t-il eu une guerre des services secrets pour faire disparaître, sinon l’objet du délit, du moins sa victime ?
Les théoriciens de la littérature, eux, se demanderont si Giscard ne s’est pas légèrement inspiré de La Princesse de Clèves pour écrire son roman. Certes, il n’y a guère d’érotisme dans le livre de Madame de Lafayette, excepté ce passage où Monsieur de Nemours surprend Madame de Clèves « qui n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge que ses cheveux confusément attachés ». Mais sur le reste du texte, on peut remarquer beaucoup de parallèles, qualité de la langue mise à part.
Les lecteurs, enfin, pourront regretter de ne pas avoir lu les lignes caviardées car ce passage digne d’intérêt eût égayé leur lecture d’un livre qui, par ailleurs, n’en présente absolument aucun.
Édouard Launet
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