“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Pour son élection, François Hollande se faisait fort de rendre l’espoir aux Français. Trois ans plus tard, seuls le conservent ceux qui croient aux miracles économiques, les prophètes de la Croissance providentielle qui font passer la méthode Coué pour du volontarisme et psalmodient en prières publiques leur “aide-toi, la finance t’aidera”. Mais d’espoir social ou économique, point. Alors, délaissant emploi et pouvoir d’achat, Manuel Valls a donné cette semaine une autre orientation à la stratégie gouvernementale : l’espoir footballistique.
En laissant entendre – avant de démentir – que le FC Barcelone pourrait intégrer la Ligue 1 en cas d’indépendance de la Catalogne, le premier ministre n’a pas fait que courtiser cet électorat populaire que sa politique lui vaut de perdre : il a redonné l’espoir au supporteur français, en plein marasme de la douzième journée de championnat. Car en ce week-end de fête des Morts, la Ligue 1 a revêtu ses plus sinistres atours. Silence dans les travées des stades comme dans les allées d’un cimetière. Le “vent qui vient de la tombe” de Lamartine souffle sur les pelouses, lugubre : “voilà les feuilles sans sève / qui tombent sur le gazon”. Et avec elles, les plus tristes records : seize buts, le plus petit total de la saison ; un seul tir cadré pour Montpellier et Lille, aucun pour Bordeaux ; Paris, Monaco, Marseille et Lyon, les favoris du championnat qui s’imposent sur le plus petit des scores ; le PSG qui laisse ses stars Ibra, Cavani, Verratti et Motta sur le banc ; et des joueurs bordelais ostensiblement en grève sur le terrain.
Le supporteur n’a pas lu “Pensée des morts”, mais il sait à quoi s’en tenir, l’expérience joue pour lui : l’hiver approche, avec ses terrains gras, sa boue qui colle à l’imagination, sa pluie dans la lumière froide des projecteurs de stades à demi vides, la nuit l’après-midi et ces ballons oranges qui roulent leur mélancolie dans la neige comme des bouées de secours dans la tempête. La frilosité gagnera les joueurs, au propre comme au figuré, et la déprime les supporteurs. Les remplaçants prendront le pouvoir dans les clubs qui jouent les compétitions européennes. Fini le spectacle, la saison est aux bûcherons, aux montagnards plutôt qu’aux Brésiliens. Le championnat va hiberner : “ainsi finit une année, / ainsi finissent nos jours !”
Mais dans la pénombre qui recouvre les terrains après le passage à l’heure d’hiver, jaillit soudain un arc-en-ciel violet et bleu : Barcelone, la douceur méditerranéenne, le soleil et le beau jeu. C’est le printemps avant l’heure, l’espoir qui refleurit. Toute la France du football se découvre soudain indépendantiste ! Dans le microclimat septentrional de la Ligue 1, avec ses nuits polaires et ses hivers sans fin, le Barça c’est la costa dorada, c’est les vacances, c’est la plage ! En l’intégrant, Manuel Valls s’offrirait ses petits congés payés à lui, son Front Populaire à moindre frais. On a la révolution qu’on peut…
Etait-ce ce que le président Hollande entendait en affirmant dans son programme vouloir “redonner de l’espoir à la jeunesse” ? Lui amener le tiki taka sur les pelouses françaises ? Après tout, il ne dirait pas non, ce supporteur français habitué à pratiquer l’espoir comme mode de vie, parfois de survie. Car l’espérance n’est pas qu’une vertu chrétienne. À la différence des religions qui promettent la rédemption après la mort, et des politiques qui repoussent les améliorations à leur prochain mandat, le football offre la possibilité d’un salut hebdomadaire. Pas à Pâques ou à la Trinité : c’est chaque samedi que Messi descend sur les pelouses ! Tout peut arriver en football : les colosses ont des pieds d’argiles et les David terrassent les Goliath à tour de fronde, les pires armées mexicaines répètent des chorégraphies de majorettes sous l’autorité d’un nouvel entraîneur, des hordes de cul-de-jatte se transforment en acrobates de cirque par le miracle d’un réajustement tactique. Le supporteur a tout vu, il sait que rien n’est impossible en football, que tous les espoirs sont permis. Les professeurs d’espérance, les optimistes chroniques, c’est dans les gradins qu’ils se réfugie de la sinistrose !
Au stade ou à l’église, il faut bien aux politiciens chercher quelque part ceux qui peuvent croire encore. Alors, le Barça, c’est une promesse de campagne ?
Sébastien Rutés
Footbologies
[print_link]
0 commentaires