“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Expulsé au Parc des Princes, l’entraîneur du Toulouse FC a déclaré après le match : « c’est comparable à ce que l’on vit dans le pays. Dès lors qu’on s’exprime, on est sanctionné ». Et alors que la plupart de ses homologues ne s’aventurent même pas à commenter l’arbitrage, Pascal Dupraz s’en est pris directement à l’État, qualifié « d’extrêmement répressif ». Voilà qui tranche avec le discours ambiant, que servent à droite comme à gauche les candidats de l’ordre autoproclamés, dont les carrières politiques connaissent présentement des heures difficiles, preuve que le prétendu désir d’autorité des Français a été surestimé par un Manuel Valls, et sous-estimé par un François Fillon.
D’autant que le plaidoyer anti-autoritariste de Dupraz conclue une semaine ponctuée par des manifestations de soutien du monde du football à Théo, le jeune homme victime de violences policières à Aulnay-sous-Bois : l’Inter de Milan l’a invité à San Siro ; les supporteurs du Werder Brême ont déployé deux banderoles contre « le racisme institutionnel » ; Franck Ribery lui a offert un maillot ; et nombre de joueurs ont utilisé le hashtag #justicepourThéo : Moussa Sissoko, Geoffrey Kondogbia, Riyad Mahrez et Adil Rami, lequel s’est fendu d’une formule imagée : « ils nous pissent dessus sans même nous faire croire que c’est la pluie ». Des prises de positions aussi rares qu’extrêmes dans un milieu où la politique est soigneusement tenue à l’écart par les instances dirigeantes, et où l’on a plutôt l’habitude de s’engager de façon plus consensuelle contre la faim dans le monde ou le racisme. La critique de l’État policier, du racisme officiel, de l’impunité institutionnelle et des violences policières, voilà qui est nouveau, mais à la réflexion pas si surprenant.
La raison, Pascal Dupraz l’a rappelée en conférence de presse : « l’arbitrage est le microcosme de notre État ». Pas seulement l’arbitrage, cher Pascal : le football, ce modèle réduit de nos sociétés, où se donnent à voir toutes les relations qui les régissent. Malgré l’égide des instances internationales, chaque championnat exprime les idiosyncrasies nationales, or quoi de plus français que ce rapport difficile à l’autorité ? Quand d’autres sports prônent le respect religieux de l’arbitre, le football français transpose la vieille consigne anarchiste « mort aux vaches » en « aux chiottes l’arbitre » !
Pourquoi ? On l’a dit ici : fait d’une infinité de phénomènes parfois intangibles, le football est sujet à constante interprétation, non seulement des faits mais aussi des intentions. L’habitude de la contestation résulte d’une différence de perceptions. Quand l’arbitre institutionnalise sa subjectivité en objectivité, les joueurs revendiquent de leur côté la pluralité des expériences. Le supporteur ne croit pas à l’unicité du réel ; pour lui, un match résulte du dialogue entre les impressions des spectateurs, dont l’arbitre n’est qu’un parmi d’autres. C’est pourquoi, dès lors que le totalitarisme de la perception arbitrale s’accompagne du dogme de son infaillibilité, fermente l’esprit de rébellion…
Car l’arbitre français est autoritaire, c’est un fait. À l’inverse du philosophe, on lui a appris à bannir le doute, ce pourquoi il ne croit pas aux vertus fécondes du dialogue. Persuadé de remplir une mission morale, il ne saurait faillir sans mettre en péril les fondements de l’édifice social. Son dogme : « force doit rester à la loi », et son corollaire : « la loi, c’est moi ». Il est l’héritier d’une vielle tradition centraliste et absolutiste, à l’instar de nos forces de l’ordre. Au contraire, l’arbitre anglais débonnaire qui promène en souriant sa bedaine d’un bout à l’autre du terrain n’a-t-il pas tout du bobby flegmatique ?
Le mythe français de l’autorité restaurée n’épargne pas l’arbitrage, cette vieille nostalgie du maître d’école, du père de famille, du « ne réponds pas à ton père ! » dont l’entraîneur de Toulouse a fait les frais. L’état d’urgence ne s’arrête pas aux grille des stades, ni l’interdiction de manifester. Les dogmes à la mode du tout-répressif et de l’infaillibilité policière compliquent le dialogue social sur les terrains de sport comme dans les banlieues, et renforcent la défiance envers la loi. L’arbitrage aussi a besoin de sa police de proximité. Pascal Dupraz a le mérite de l’avoir exprimé mieux que Mario Balotelli, encore expulsé samedi pour avoir insulté l’arbitre…
Sébastien Rutés
Footbologies
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