“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Icare fut peut-être le premier, mais assurément pas le dernier à avoir cru toucher le soleil avant de chuter. La tradition regorge de mises en garde contre les excès de l’ambition, mais dans la société du tout-est-possible et du crois-en-toi, il ne reste guère que le football pour rappeler au quotidien les dangers de cette vieille hybris grecque qui nourrissait la tragédie. « C’est à nous d’y croire » fait office de mantra pour les footballeurs, mais la réalité se rappelle parfois au jeu, et qu’elle n’est pas toujours que le produit de leurs désirs.
Non –s’insurge parfois le football, cet apôtre habituel des possibles–, les vœux pieux ne suffisent pas. Mais l’on a en vu assez se réaliser pour se prendre à croire à un parti-pris : les miracles existent, mais ne dépendent pas des millions investis. Dans le cas du Paris Saint-Germain, l’ironie est à la (dé)mesure de l’ambition du projet qatari : plus dure sera la chute. Les caprices du sort valent ceux des milliardaires du Golfe. En le réduisant à quelques combinaisons annuelles, le football donne du sens au réel, en dépit des lois de probabilités. Éliminé de la Ligue des Champions par le FC Barcelone en 2013, 2015 et encore cette saison, le club de la capitale va certainement remettre en cause les mérites de la méthode Coué et –pourquoi pas– se convertir au déterminisme. Privilège rare cependant, le club de la capitale a la chance de pouvoir mettre un nom sur son destin : le FC Barcelone.
De nouveau en rade au terminus des prétentieux, le Paris Saint-Germain aura le temps de méditer une autre leçon inspirée par le scénario des deux rencontres, et que la sagesse populaire a résumée de façon variée : « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué », « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ou « mieux vaut tenir que courir », encore que dans le cas de Paris, peut-être aurait-il mieux valu continuer à courir au match retour. En d’autres termes : cette « fragilité de toutes les possessions » dont parlait Guy Debord à propos des Stances sur la mort de son père de l’Espagnol Jorge Manrique, qu’il a traduites. Cette vanité des honneurs chère aux poètes baroques, cette égalité finale entre les « rois puissants » et les « bergers » à l’heure du jugement dernier, c’est celle d’Aragon : « rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force / ni sa faiblesse ni son cœur ». À quoi les joueurs parisiens rajouteront : « ni son score ».
Car, comme dans ces vanités flamandes qui rappellent toujours à l’homme la futilité des plaisirs, et qu’il va mourir –tempus fugit, memento mori et tutti quanti–, les Silva, Verratti et consorts ont paru jouer tout le match retour (6-1) non pas avec un ballon mais avec un crâne, le genre de crâne qui vous fixe de ses orbites noires et vous sonde jusqu’aux tréfonds de l’âme : to be or not to be ? Les joueurs de Paris se sont évertué à repousser cette macabre balle plutôt qu’à la conserver, effrayés par cette question dont ils connaissaient la réponse : non, ils n’étaient pas à la hauteur, malgré l’ampleur du score du match aller (4-0). Définitivement : not to be ! En psychanalyse, le complexe d’Icare s’accompagne généralement d’une forte présence de l’enfant intérieur, autrement dit adolescence perpétuelle, et parfois d’un complexe d’Œdipe : les ailes d’Icare ne sont pas les siennes, son génie de père les a fabriquées pour lui, il sait qu’elles ne sont que prêtées, usurpées en quelque sorte, et qu’il n’a rien fait pour les mériter. Et malgré ses ambitions ou peut-être à cause d’elles, seul dans le ciel immense, Icare a peur…
Mais fi de psychologie facile : pourquoi le Paris Saint-Germain a-t-il joué la peur au ventre alors qu’un tel score n’avait jamais été renversé de toute l’histoire de la compétition ? Ces quatre buts dans son escarcelle n’auraient-ils pas dû lui insuffler courage et certitudes ? Trop bien apprise, la leçon du lièvre et de la tortue, celle du corbeau et du renard ? Ou est-ce tout simplement que seul celui qui possède a peur de perdre ? La voilà, la vraie leçon de vie de ce huitième de finale : l’argent ne fait pas le bonheur, et les buts non plus. L’escarcelle pleine, on a peur de se faire détrousser : la bourse ou la vie ! Icare fait demi-tour, retour en Crète, à papa, à la forteresse de Minos, au labyrinthe et au monstre qui y est tapi : les vieux démons sont de retour. On se recroqueville, on recule. On se barricade au lieu d’aller de l’avant, de prendre des risques, de jouer au ballon, de prendre son envol. Finalement, le club de la capitale est à l’image du pays : un pays riche obsédé par la peur de perdre ce qu’il a, qui se persuade qu’il est pauvre, se referme sur lui-même, campe devant son but, défense à cinq, la stratégie du bus protectionniste, le catenaccio social, et finira probablement –ce qui devait arriver arriva– par encaisser six buts au bout des arrêts de jeu.
Atterrissage à la Icare en vue…
Sébastien Rutés
Footbologies
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