En quittant le marché, juste à côté du Rialto d’où le regard plonge sur les étals, je gardais en tête l’image du marchand de poulets, l’image de Venise, théâtre offert au photographe.
De retour sur la place Saint-Marc, deux douaniers en cape confirmaient cette impression, comme les publicités peu différentes des icônes virginales offertes aux passants.
Un chocolat viennois au café Florian réchauffa mes ardeurs et la conversation de mon voisin de table, qui recevait les confidences d’une femme d’écrivain français délaissé par son mari, ne me laissa pas indifférent… L’homme parlait bien le français. Je compris assez vite que les ennuis de la dame et le conformisme de son mari pouvaient l’inspirer. Il s’appelait Alberto Moravia.
Le lendemain, de retour pour une addiction naissante au chocolat viennois, je fis une autre rencontre : un photographe italien que j’avais déjà croisé à Paris, où il écrivait régulièrement dans des magazines de photographie, Alberto Salbitani. Il nous invita à dîner, ma compagne et moi. L’occasion de prendre le vaporetto pour la Giudecca, où il habitait alors. La conversation était passionnante dans le silence de l’île, les Brigades rouges faisaient peur aux bourgeois, Roberto leur trouvait des excuses. Son goût de la provocation gâcha un peu la soirée, ses avances à ma compagne se terminèrent par des larmes. Sans doute encore un peu de théâtre vénitien ?
Les vaporetti nous donnaient l’envie des îles. Ce fut d’abord Murano, au plus près de la ville. Ce jour-là le temps était brumeux, l’arrivée dans le canal central de Murano et les bâtiments industriels me donnaient l’envie de visiter un verrier au travail. J’en photographiai quelques uns au bord du canal.
De Murano, cap sur le Nord-Est pour rejoindre Burano. Le brouillard s’était dissipé et la couleur était de la fête. C’est un autre théâtre qui s’offrait au Leica. Les passagers du vaporetto lisaient encore des tracts, conséquences de l’attentat fasciste qui avait fait un mort trois jours plus tôt.
Un expresso dans un bar confirma mon impression que la population de Burano était assez âgée. Dans le bar, des hommes, exclusivement. Dehors, les femmes d’un côté, jour de ménage, de lessive, les hommes de leur côté sur les placettes.
Pourtant, un landau à l’apparence allemande était poussé par une mère au col de fourrure. Une tentation pour le coloriste.
Le rouge du parti communiste italien semblait déjà sur le déclin, des affiches de cinéma recouvraient la permanence du parti. La photographie donne à ce « Viol d’une mineure », film certainement inoubliable de Richard T. Heffron, et à sa vedette Jim Mitchum une sorte d’éternité.
Venise, 1978
© Gilles Walusinski
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