La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Le Souci de souffrir
| 07 Avr 2025
Bertrand Binoche : Vouloir souffrir (Nietzsche en contexte ascétique), Vrin-Éditions de l’EHESS, 2024

Pourquoi vouloir souffrir ? Mais peut-on seulement vouloir souffrir ? Telles sont les principales questions qui rythment le dernier livre du philosophe Bertrand Binoche, professeur à Paris I et auteur du remarqué Religion privée, opinion publique (Vrin, 2012).

Ces deux questions paradoxales sont l’occasion d’une enquête sur le concept d’ascétisme et de ses nombreux avatars (de l’ascèse des Grecs à l’ascétique de M. Foucault en passant par la critique des idéaux ascétiques que fait Nietzsche dans La Généalogie de la morale). B. Binoche propose ainsi une généalogie du concept d’ascétisme et montre à l’aide d’une érudition impressionnante comment ce concept s’est transformé, au point de changer régulièrement de signification.

Écraser l’infâme

Ces deux questions ne sont pas le seul objet de cette enquête: dans son « Avertissement » Bertrand Binoche rappelle le mot de Voltaire: « Écrasez l’infâme », mot associé bien sûr aux Lumières comme à la critique de la religion et de la superstition (pour autant qu’on veuille les distinguer). L’infâme, c’est cette entreprise qui asservit et affaiblit l’homme à l’aide d’un certain nombre de techniques, dont l’ascétisme fait justement partie.

Ainsi s’associent peu à peu dans ce livre passionnant deux recherches, l’une sur la signification du vouloir souffrir, l’autre sur l’identité de cet « infâme » qu’il convient d’écraser. Car l’infâme est protéiforme et il semble que nous n’en ayons pas encore fini avec lui. C’est un des intérêts de ce livre que de montrer, in fine, comment « l’esthétique de l’existence » que recommande Michel Foucault dans Le Souci de soi pourrait bien avoir pour objet d’écraser l’infâme que nous sommes nous-mêmes à nous-mêmes.

Vouloir souffrir?

Alors pourquoi vouloir souffrir ? L’histoire apporte des réponses aussi complexes que variées à cette question. Pour mortifier ses sens, pour le salut de son âme (optique chrétienne), pour la connaissance (optique platonicienne), pour vouloir quelque chose plutôt que rien ? Les hypothèses sont nombreuses autant que surprenantes. Mais peut-on le vouloir ? Le plaisir n’est-il pas notre fin principale ? Derrière le vouloir souffrir ne se cache-t-il pas toujours un vouloir jouir ? C’est sans doute ce que répondrait le masochiste. Laissons au lecteur le soin de répondre à cette question embarrassante qui donna à Freud quelques sueurs froides comme le rappelle un des chapitres du livre.

Bertrand Binoche : Vouloir souffrir (Nietzsche en contexte ascétique), Vrin-Éditions de l’EHESS, 2024.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dans la même catégorie

Combats de rue

Collaborateurs de délibéré, Juliette Keating (texte) et Gilles Walusinski (photos) publient chez L’Ire des marges  À la rue, livre-enquête engagé dont le point de départ est l’expulsion à l’été 2016, de treize familles roms de leur lieu de vie de Montreuil, en Seine-Saint-Denis.

Animaux de transport et de compagnie

Jacques Rebotier aime les animaux. Il les aime à sa façon. Il en a sélectionné 199 dans un livre illustré par Wozniak et publié par le Castor Astral. Samedi 2 mars, à la Maison de la Poésie, en compagnie de Dominique Reymond et de Charles Berling, il lira des extraits de cet ouvrage consacré à une faune étrange, partiellement animale.

“Un morceau de terre, un morceau de toile, une place”

Dans le troisième livre de la série “Des îles”, Mer d’Alborán 2022-2023, Marie Cosnay enquête sur ces lieux à part que sont ceux où “logent les morts”. Dans leur voyage périlleux entre les rives algérienne et espagnole, des hommes et des femmes disparaissent, engloutis par les eaux. Qu’en est-il des corps qui reviennent? Œuvre majeure pour crier l’inacceptable, mais avec bien plus qu’un cri: l’amour.

Regards satellites: cap sur El Pampero Cine

Le festival de cinéma Regards Satellites (cinéma L’Écran à Saint-Denis, du 27 février au 11 mars) met à l’honneur le collectif El Pampero Cine, fondé en 2002 par une poignée de cinéastes dont les noms sont associés au renouveau du théâtre argentin actuel. Au programme, des projections, des rencontres et une Master class.