
Pourquoi vouloir souffrir ? Mais peut-on seulement vouloir souffrir ? Telles sont les principales questions qui rythment le dernier livre du philosophe Bertrand Binoche, professeur à Paris I et auteur du remarqué Religion privée, opinion publique (Vrin, 2012).
Ces deux questions paradoxales sont l’occasion d’une enquête sur le concept d’ascétisme et de ses nombreux avatars (de l’ascèse des Grecs à l’ascétique de M. Foucault en passant par la critique des idéaux ascétiques que fait Nietzsche dans La Généalogie de la morale). B. Binoche propose ainsi une généalogie du concept d’ascétisme et montre à l’aide d’une érudition impressionnante comment ce concept s’est transformé, au point de changer régulièrement de signification.
Écraser l’infâme
Ces deux questions ne sont pas le seul objet de cette enquête: dans son « Avertissement » Bertrand Binoche rappelle le mot de Voltaire: « Écrasez l’infâme », mot associé bien sûr aux Lumières comme à la critique de la religion et de la superstition (pour autant qu’on veuille les distinguer). L’infâme, c’est cette entreprise qui asservit et affaiblit l’homme à l’aide d’un certain nombre de techniques, dont l’ascétisme fait justement partie.
Ainsi s’associent peu à peu dans ce livre passionnant deux recherches, l’une sur la signification du vouloir souffrir, l’autre sur l’identité de cet « infâme » qu’il convient d’écraser. Car l’infâme est protéiforme et il semble que nous n’en ayons pas encore fini avec lui. C’est un des intérêts de ce livre que de montrer, in fine, comment « l’esthétique de l’existence » que recommande Michel Foucault dans Le Souci de soi pourrait bien avoir pour objet d’écraser l’infâme que nous sommes nous-mêmes à nous-mêmes.
Vouloir souffrir?
Alors pourquoi vouloir souffrir ? L’histoire apporte des réponses aussi complexes que variées à cette question. Pour mortifier ses sens, pour le salut de son âme (optique chrétienne), pour la connaissance (optique platonicienne), pour vouloir quelque chose plutôt que rien ? Les hypothèses sont nombreuses autant que surprenantes. Mais peut-on le vouloir ? Le plaisir n’est-il pas notre fin principale ? Derrière le vouloir souffrir ne se cache-t-il pas toujours un vouloir jouir ? C’est sans doute ce que répondrait le masochiste. Laissons au lecteur le soin de répondre à cette question embarrassante qui donna à Freud quelques sueurs froides comme le rappelle un des chapitres du livre.
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