Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
La fin de l’été est propice à la nostalgie. Les jours filent, à une vitesse folle, et l’on sait que, dans peu de temps, il va nous falloir abandonner les journées chaudes, les apéritifs tardifs, les couchers de soleil sur la mer ou les paysages inhabituels, les heures passées à ne rien faire ou à faire tout autre chose que ce à quoi le quotidien nous astreint. Et justement, le quotidien, le voici qui se profile à l’horizon, lesté de toute sa grisaille et de sa fatigue à venir, accompagné d’une actualité déprimante et de ses gesticulants habituels. On feuillette la pile de journaux en retard : un tel déclare qu’en fait il n’est pas socialiste – et les journalistes notent scrupuleusement le scoop – un autre précise qu’il l’est, socialiste, “mais pas seulement”, on nous explique par ailleurs toujours et encore combien il est important de dépasser aujourd’hui l’archaïque clivage gauche-droite, et d’ailleurs 68% des Français sont favorables à un rapprochement gauche-droite, et, sur France Inter, le vice-président du FN est le seul responsable politique invité à intervenir sur le débat suivant : “L’esprit du Front populaire anime-t-il toujours la vie politique française ?” et c’est bien normal parce que, selon ses principaux représentants, le FN n’est absolument pas un parti d’extrême droite.
Il va falloir replonger dans tout cela. Écouter, lire beaucoup de mots inutiles, beaucoup de propos fatigants ou révoltants. Et on se prend à regretter, déjà, cette brève parenthèse, cette échappée belle qu’on a eu la chance de pouvoir s’accorder.
Et on sombre dans la nostalgie.
Le dernier roman de Véronique Ovaldé, paru en cette fin de mois d’août, tombe à pic. Dans Soyez imprudents, les enfants (Flammarion), la jeune Atanasia, dotée d’“un rapport particulier aux choses invisibles”, passe “un temps fou à gamberger à des problèmes absurdes”, grandit dans un village basque, boit du vin sucré avec sa grand-mère (“De toute façon on a toujours trop bu dans cette famille, autant commencer à t’habituer”) et, surtout, s’applique à ne pas devenir transparente. Toute son enfance, elle attend : “Il va bien finir par se passer quelque chose. Aucun doute là-dessus. Un événement allait se résoudre à advenir”. Elle attend “avec une telle concentration que le monde était en passe de se transformer en crampe”.
Un beau jour, enfin, au cours de sa treizième année, elle tombe, au musée de Bilbao, sur un tableau qui la sidère (“Je me suis figée en plein élan, saisie. C’était donc cela que j’attendais depuis si longtemps ?”) : débute alors la recherche obsessionnelle du peintre mystérieux, Roberto Diaz Uribe, brusquement disparu de la surface de la terre en 1961. La quête passe par une exploration minutieuse de sa propre famille et l’oblige à voyager – Paris, puis Barsonetta, “une île clapotant dans la mer des Caraïbes”, puis de nouveau l’Espagne –, à fréquenter un poète russe en exil, à s’intéresser de près aux méduses. C’est qu’“Atanasia ne voulait pas être comme son père et finir par se laisser rattraper par sa mélancolie” et, la chose est connue, “les obsessions occupent l’esprit et chassent la mélancolie scélérate”.
Atanasia est un peu comme vous, inconsolables futurs-ex-estivants, condamnés à reprendre le chemin de l’école, de l’usine, ou de tout autre lieu de torture du même type. Elle abrite une “petite fille qui boude à l’intérieur de son cœur”. Alors elle met au point “des stratégies performantes pour éloigner la tristesse”. La lecture de ce roman, le “voyage lointain vers les dernières légendes de la famille Bartolome” qu’il propose, est sans aucun doute à ranger parmi ces stratégies efficaces.
Lisez Véronique Ovaldé, dès les premiers jours de rentrée, et avant même que les premiers symptômes de mélancolie post-été ne se fassent sentir, laissez-vous embarquer dans ses itinéraires tortueux et souvent réjouissants. Ne faites pas comme l’épouse du peintre Roberto Diaz Uribe (“la majorité des décisions de sa vie avaient moins été des décisions que des acquiescements”) : Soyez imprudents les enfants, plongez dans ces mots-là, ils vous feront digérer bien mieux tous les autres, et vous pourrez alors rêver un peu, pourquoi pas, imaginer qu’il est encore possible, de cesser “de gratter avec cette application maladive chacune de [nos] cicatrices”, pour, enfin, “redistribuer les cartes dans le calme et le détachement”.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
Véronique Ovaldé, Soyez imprudents les enfants, Flammarion, 2016
[print_link]
0 commentaires