David Lefebvre expose ses peintures à la galerie Zürcher. Comment parler d’elles ? Pourrait-on partir de la plus terrible des questions lorsqu’il s’agit d’art – et de la plus contestable lorsqu’il s’agit de critique, soit : pourquoi ai-je aimé les peintures de David Lefebvre ? Et pourrait-on répondre à ce “pourquoi” par une liste de “parce que” ? On emploierait une forme généralement considérée comme le degré zéro de la rhétorique, puisque la liste se passe de structurer, de hiérarchiser et de lier ses éléments. Et on se permettrait, de surcroît, d’user de la plus arbitraire des formules que la langue française ait inventée, formule qu’on ne doit généralement pas utiliser, une fois passé l’âge de raison : parce que. Malgré tout, je voudrais ici tenter de réhabiliter la liste et le “parce que” comme outils de l’exercice critique en profitant de ce qu’ils autorisent à tourner autour d’un objet sans avoir d’autre point de mire que lui. Pourquoi, donc, ai-je aimé les peintures de David Lefebvre ?
Parce qu’elles sont des mondes. On contemple les paysages de David Lefebvre comme on regarde des mondes miniatures, des maquettes où le réalisme aurait ménagé une place pour une science-fiction plausible, nichée au creux des rochers, dans les replis des collines ou dans le bleu du ciel. Une science-fiction toute proche du merveilleux.
Parce que David Lefebvre a compris que, quitte à peindre, il fallait peindre des arbres. Pas seulement un arbre, des arbres, alignés, et qui obturent le paysage comme un rideau ajouré. Cézanne l’avait fait, avec ses incroyables peupliers. Parmi les artistes contemporains, Peter Doig est, sans doute, le roi de l’arbre – par exemple, lorsque dans la série Concrete Cabin, il peint l’éclatante Cité radieuse du Corbusier seulement entraperçue à travers une forêt sombre. Le même contraste, entre une forêt sombre et un revers coloré est à l’œuvre dans la toile Ah ! Mais oui, Cocotier. Mais cette fois-ci, la couleur n’est pas tant derrière le rideau d’arbres que dans son reflet : de longs troncs s’élèvent autour d’un cours d’eau calme et, à la place de leur reflet, ce sont de longues lignes multicolores qui strient la surface de l’eau, et qui semblent refléter l’autre corps des arbres, un corps invisible à l’œil humain, un corps chatoyant et comme tout droit sorti du roman de Ballard, La Forêt de cristal.
Parce qu’elles brisent toutes les continuités. Presque tous les paysages de David Lefebvre sont interrompus par un signe qui brise les réalismes. Dans un paysage vert, le creux d’une falaise s’emplit soudain d’irisations bleues, jaunes et rouges (Montagne V, 2015). Là, deux bandes blanches encadrent un paysage, comme un cadre qui aurait glissé depuis l’extérieur vers l’intérieur du champ pictural. Dans le bleu d’un ciel est ménagée une bande horizontale géométrique, peinte dans un bleu légèrement plus pâle et parfaitement uni (Plaine, 2015). Sur une autre toile, un paysage peint à l’endroit dans la partie inférieure du tableau est retourné sur lui-même et peint à l’envers dans la partie supérieure, le ciel se trouvant pris entre Terre et Terre, tandis qu’une bande multicolore ceinture verticalement la vue (Montagne III, 2015), comme si la peinture reprenait, par instants, ses droits sur l’image et se plaisait à déjouer ses affirmations.
Parce que sans rien cacher, elles demeurent mystérieuses. Rien ne semble échapper quand on les regarde, et pourtant, elles diffusent une secrète étrangeté, une atmosphère de suspens qui accroche le regard. Quelque chose se trame, dans le calme le plus grand et dans l’immobilité la plus parfaite.
Parce qu’elles sont souples. Dans les verts notamment, qui s’étendent en collines paresseuses, la couleur se déploie en une matière tentante – souple, élastique, luisante, comme les feuilles de certains arbres. Sans jamais jouer d’effets matiéristes ostentatoires, David Lefebvre nous donne pourtant l’envie de la sentir, cette peinture, et non pas seulement de la voir.
Alors on s’approche encore un peu plus près.
Alors on reste encore un peu plus longtemps.
Nina Leger
David Lefebvre, Le tour, la face, le bord, à voir, jusqu’au 3 mars à la Galerie Zürcher, 56 rue Chapon, 75003, Paris. Du mardi au samedi, de 12h à 19h.
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