Comment ça, vous avez un coup de blues ?
C’est quoi ? La grisaille de l’hiver ? L’épidémie de coronavirus ? Le confinement ? La réforme des retraites ? Les violences policières ? La crise des hôpitaux ? La réforme du bac et de l’université ? La montée de l’extrême-droite ? L’impunité des violeurs et harceleurs sexuels ? La crise migratoire ? La guerre en Syrie ?
Ah, vous voulez dire que c’est général ? Vous ne savez plus trop ?
Allons, allons.
Une pointe de lassitude peut-être ?
Comment ça, vous voulez disparaître ?
Allons, allons.
De l’avis général, il est difficile d’aller tout à fait bien en ce moment. Les gens, dans le meilleur des cas, traînent un peu des pieds, et c’est, pour le service de médecine littéraire, autant de patient.e.s qu’il nous faut, de fait, prendre en charge.
Alors quoi ? On leur prescrit de l’évasion, de l’oubli ? C’est possible. Et ça peut marcher (pas impossible d’ailleurs que l’on prépare une petite sélection en ce sens un de ces jours). Mais on peut aussi vous prendre au mot. Vous voulez disparaître ? Soit. On a ce qu’il vous faut.
Car disparaître est tout un art. Certains l’ont tenté, avec plus ou moins de succès. Certains, même, ont raconté la chose, à nous d’en tirer les enseignements nécessaires. C’est le cas d’Evan Ratliff, journaliste américain, qui a tenté l’expérience et la raconte dans Disparaître (récit publié avec Dans la nature, deuxième récit sur le thème de la disparition, ce mois-ci aux éditions Marchialy, traduit de l’anglais par Charles Bonnot).
« Le principe est simple : je vais essayer de disparaître pendant un mois et de commencer une nouvelle vie sous une autre identité. Les lecteurs du magazine, ou quiconque entendra parler de la traque, essaieront de me retrouver. »
Et c’est parti : « L’idée de ce concours est venue d’une série d’interrogations : est-il difficile de disparaître à l’ère du numérique ? ».
Et c’est parti. Les « chasseurs » s’organisent, créent des groupes de discussion, échangent leurs informations, les compilent. Le fuyard, après avoir modifié son apparence physique, zigzague, change de moyen de transport, multiplie les ruses et les leurres. La moindre trace, notamment numérique, est disséquée, analysée. Difficile de bouger un orteil ici-bas de nos jours sans laisser d’empreinte numérique.
Conclusion post-traque : « ma vie privée était une fiction moderne. Il s’avère que les gens – des gens ordinaires – peuvent bel et bien compiler des dossiers incroyables, remplis d’informations vous concernant ». Concrètement : « Quelle que soit la raison pour laquelle vous avez décidé d’abandonner votre ancienne personnalité et votre entourage, il vous faudra plus qu’un bon alibi et une banane remplie de billets pour les remplacer ».
Autrement dit, il est probable que la plupart d’entre nous soient obligés de rester, d’affronter ce qui nous tient lieu de quotidien, même s’il semble absurde, pénible, ou tout simplement pas bien gai.
Rester, affronter la réalité. Mais comment ? Le service de médecine littéraire sera, en ces temps difficiles, à vos côtés, n’en doutez pas, et ne saurait trop vous recommander de ne pas vous précipiter sur le papier toilette dans les supermarchés. En ces temps de confinements plus ou moins marqués, ce dont vous aurez besoin, vraiment, pour faire face avec dignité, ce n’est pas de PQ, mais, bien sûr, de livres (à commander, télécharger, etc…).
Et nous sommes là, nous serons là, de pied ferme, pour vous en prescrire.
Très bonne lecture à tous.
Evan Ratliff, Disparaître suivi de Dans la nature, traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Bonnot, éditions Marchialy, mars 2020
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