“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Dimanche soir, pour la réception de Saint-Étienne, Laurent Blanc ne mâchonnait pas une de ces fameuses touillettes qui sont sa marque de fabrique depuis ses débuts d’entraîneur à Bordeaux. Victoire 4-1 du Paris Saint-Germain, une des prestations les plus abouties de l’ère qatarie, quatre jours après un décevant match nul 0-0 contre le Real Madrid en Champion’s League. Sur le plan symbolique, que signifie la touillette ? Et que dit sa disparition ?
La fonction première de la touillette est d’assurer le bon mélange du café et du sucre. Faciliter sa dissolution du sucre en morceaux ou s’assurer que tout le sucre en poudre ne stagne pas au fond de la tasse. De la même façon, l’entraîneur fait en sorte que les individualités se fondent dans le collectif, et que personne ne se sente en marge de l’équipe. La touillette exprime l’anxiété du bon dosage, le souci d’équilibre du breuvage. Or, dimanche, les attaquants parisiens ont enfin affiché leur complémentarité : des dédoublements, de bons enchaînements, des déplacements homogènes et un altruisme inédit. Ibra s’avère finalement soluble dans le PSG : plus besoin de la touillette !
Néanmoins, une touillette seule souligne l’absence du café. On se souvient que Marcelo Bielsa en buvait pendant les matchs de l’Olympique de Marseille. Pas Laurent Blanc. Et s’il en buvait, ce serait avec du sucre, à en croire la touillette. Alors qu’on imagine plutôt l’austère Bielsa l’aimer noir. Le sucre efface l’amertume, adoucit, il rappelle le canard qu’on donne aux enfants. Ajoutez-y que la touillette a pour fonction de pallier à la cigarette, pour que sa symbolique l’oppose clairement à tout ce qui relève des vices de l’adulte : cigarette et café noir.
Rien d’étonnant : le suçotement caractérise pour Freud le stade oral, le premier de l’évolution de l’enfant, jusqu’à dix-mois. Pour l’entraîneur soumis au stress du résultat, ces formes de la tétée que représentent la sucette, le chewing-gum ou la touillette, symbolisent le désir de réconfort, le retour à la mère protectrice. Pas en tant qu’hommes, bien sûr, mais en tant qu’ils incarnent une fonction, et surtout un club.
Fondé en 1970, le Paris Saint-Germain est un club adolescent à l’échelle du football européen. Issu de la fusion de clubs plus anciens, certes, mais amateurs. Et qui cherche depuis quelques saisons à se faire une place parmi les grands d’Europe, comme si – passé de la primaire du championnat de France au collège de la Champion’s League –, le club avait changé de cour. Du plus grand parmi les petits au petit parmi les grands, un statut qu’il cherche à modifier. En 2013, beaucoup se sont étonnés du remplacement de l’expérimenté Carlo Ancelotti –trois Champion’s avec le Milan AC et le Real Madrid, et qui venait de remporter le championnat avec Paris– par un jeune entraîneur diplômé depuis seulement six ans, dont le palmarès ne comptait qu’un titre de champion de France et une coupe de la Ligue avec Bordeaux. C’est en ces termes qu’il faut le comprendre : un entraîneur en devenir pour un club qui veut grandir. Blanc et le PSG deviendront adultes ensemble.
Mais la touillette en plastique est jetable. Comme la cigarette, elle dit l’éphémère, une étape à dépasser, celle de l’incorporation, qui caractérise le premier stade freudien : l’enfant veut goûter à tout, de façon compulsive, irraisonnée, et sa personnalité est liée à ces expériences. Ainsi s’explique la boulimie du PSG, qui cherche encore à définir sa propre identité, notamment depuis le rachat par les qataris : championnats, coupes, le PSG joue sur tous les tableaux, il veut tout, tous les titres et tous les plus grands joueurs, quitte à débourser des sommes irraisonnés.
Evidemment, le PSG préfère se persuader d’avoir déjà atteint l’âge de raison. En psychanalyse, c’est l’acquisition de la parole qui marque la fin du stade oral, voilà pourquoi la communication de Laurent Blanc est contrôlée à l’extrême – diction lente, ton posé, sévérité paternaliste– et en rajoute dans le formel –le cérémonieux “monsieur” avant le nom de chaque journaliste. Après la déception du match contre Madrid, l’abandon de la touillette veut marquer symboliquement une maturité que confirme la prestation pleine de maîtrise contre Saint-Etienne : finies les incertitudes et l’inconstance d’une fragile touillette qu’une autre vient remplacer au match suivant. Place au chewing-gum, ce symbole des adolescents rebelles, qui le mâchonnent la bouche ouverte : résistant, élastique, qu’on peut mastiquer sans fin. Mais qui ne change rien à la pulsion de suçotement…
Sébastien Rutés
Footbologies
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