Quand on apprend, chaque année, qui est le lauréat du Pritzker Prize (équivalent du Nobel de l’architecture, parrainé par la Fondation Hyatt), c’est quitte ou double. On le connaît, ou pas ! Ou on les connaît, ou pas ! Car cette année, ils sont trois à avoir été récompensés le 1er mars, ce qui est une première : les Espagnols Rafael Aranda (55 ans), Carme Pigem (54 ans) et Ramón Vialta (56 ans) du cabinet catalan RCR (les trois initiales de leurs prénoms). On n’aurait pas parié sur eux. Mais on les identifie.
On visionne immédiatement la silhouette du musée Soulages, d’acier rouille et de verre, qu’ils ont réalisé à Rodez (Aveyron), en association avec Passelac & Roques. Cet édifice français a été inauguré en 2014 et salué comme une œuvre d’exception. Situé sur le flanc nord du jardin du Foirail, il fait le lien entre le centre historique – la cathédrale Notre-Dame – et les nouveaux quartiers, et propose des vues sur le paysage de l’Aubrac. Il est né, selon le trio, « du parc, qu’il participe à restructurer, à révéler et à clarifier ».
Cet outil, généreusement ouvert à l’œuvre noire lumineuse de Soulages, adopte une géométrie simple. C’est un enchaînement de cinq boîtes verticales reliées par des pans vitrés qui répond à la monocouleur du peintre, par une autre monocouleur : le rouge corrodé, un rappel du grès rose de la région. Les parois extérieures des volumes sont en effet en Corten, acier qui rouille comme une auto-patine protectrice.
En France, en 2014 encore, RCR a réhabilité une forteresse du XIIIe siècle à Nègrepelisse (Tarn-et-Garonne), pour y créer le centre d’art et de design, La Cuisine. Sur la pointe amont de l’Île Seguin, ils ont plus récemment dessiné un Centre d’art contemporain privé, couvert de céramiques, pour le groupe Emerige, prévu pour 2021.
Une utilisation inventive des matériaux, des effets de transparence, des liens entre extérieur et intérieur, des détails soignés, un minimalisme entre tradition et contemporanéité pourraient être les marqueurs de leur architecture. Mais pas seulement.
Si ces Catalans ont été récompensés, parmi une génération d’Espagnols très talentueux, c’est sans doute au nom de leur démarche locale – ils sont installés depuis 1988 dans la petite ville d’Olot (province de Gérone). Tom Pritzker, fils du fondateur du prix, et le jury ont déclaré : « De plus en plus de gens craignent qu’en raison de l’influence internationale, nous perdions nos valeurs locales, notre art local et nos coutumes locales… Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramón Vilalta nous disent qu’il est possible d’avoir les deux… Ces trois architectes ont un impact sur leur discipline bien au-delà de leurs environs immédiats. »
Formés à l’École technique supérieure d’architecture de Vallès (près de Barcelone), Aranda, Pigem et Vialta ont choisi de ne pas quitter leur petite ville catalane pour une métropole. Dans la fonderie Barberi où ils sont installés, en osmose avec leurs racines, entre forêt de hêtres, marais et volcans, ces trois complices confortent leur « univers de la créativité partagée », tout en étant très inspirés par l’architecture japonaise et l’art contemporain, dont Soulages. Ils sont architectes conseils pour le parc naturel de la Garrotxa.
Ils se sont fait repérer en 1988, avec le phare de Punta Aldea (Canaries). Puis, en Espagne, en Belgique et en France, ils ont conçu des bâtiments très variés. Dont le centre civique de Riudaura, le stade d’athlétisme d’Olot et la bibliothèque et maison du troisième âge à Barcelone. L’agence a remporté plusieurs concours en 2010, le nouveau palais de justice de Barcelone, la Médiathèque de Gand… Leur œuvre d’inspiration locale, terrienne et écologique montera sur le podium international, quand ils recevront leur Pritzker, au Palais Akasaka de Tokyo, le 20 mai prochain.
Anne-Marie Fèvre
Architecture
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