mais je rêvai cette nuit-là que je descendais le flanc d’une montagne, hors de tout sentier, le long de la frontière entre la France et l’Allemagne que matérialisait le long fil de soie d’une araignée qui le tissait à mesure que j’avançais, et pour ce faire passait d’un côté puis de l’autre de la frontière que, pour ma part, je longeais en France parce qu’en face le sol était jonché de détritus. Ma mère, qui avait quitté l’Allemagne pour la France de mon père au milieu du XXème siècle, se trouvait alors en Belgique, mon pays natal, où elle glissait lentement sur la pente où l’on se figure par commodité, pour s’éviter l’aveu pénible d’une ignorance fondamentale, qu’une frontière sépare la vie de la mort, une solution de continuité.
Au matin, je décidai de quitter Paris pour lui rendre visite à l’hôpital où on l’avait placée en observation dans le service de gériatrie que je soupçonnais d’être un mouroir, et je me demandai comment transformer la mort de ma mère en poème, un poème rêvé que je regardais comme une articulation entre sa mort et ma vie, sa vie et la mienne, nos deux morts, un texte qui nous survivrait un peu, comme une épitaphe dont les premiers mots seraient gravés sur sa tombe et les suivants se liraient sur la mienne ; et tandis qu’en buvant mon café je feuilletais Le Côté de Guermantes en quête des pages sur la mort de la grand-mère, le souvenir me revint d’une promenade au Père-Lachaise, quelques années auparavant, au cours de laquelle je tombai en arrêt devant une sépulture où ne figuraient que ces mots:
J’attends ma fille
J’ai rejoint ma mère
et avec lui la mémoire ravivée de deux découvertes, faites sur le divan de mon analyste, la première, lointaine, que ma mère eût préféré mettre au monde une fille, et la seconde, presque récente, que je me vivais moins comme un homme que comme une femme qui aimait les femmes et qu’une facétie génétique avait dotée d’un instrument dont parfois l’usage l’embarrassait ;
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