La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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32 – Mardi 20 juin, 20 heures
| 01 Août 2022

L’arrestation de Kurz ne doit pas être du goût de tout le monde. Bartier a été agressé samedi soir.

Il était aux environs de trois heures du matin. Chaque week-end, le bijoutier sort prendre un verre dans un bar du Marais avant de filer rue Keller, où il est assuré de trouver son plaisir. Il venait de quitter un établissement pour initiés lorsque l’on avait tenté de l’assassiner. Accoutré d’une tenue en cuir noir, une casquette vissée sur la tête, Bartier était facilement repérable. Il rejoignait l’avenue Ledru-Rollin lorsqu’il avait reçu un coup de couteau. La lame avait pénétré sous l’omoplate, manquant de peu le cœur. Bartier reste sur ses gardes, la nuit. Sa tenue attire l’attention. Il est habitué aux quolibets, la menace est constante, me raconta-t-il dimanche quand je lui rendis visite à l’hôpital. Il guettait un taxi quand elle avait surgi.

Elle sortait de nulle part, il n’avait rien vu venir.

Bartier parlait sans discontinuer, une expression d’effarement sur le visage. C’était elle, bien sûr, qui lui avait téléphoné quelques jours plus tôt pour exiger son silence. Une grande blonde aux épaules carrées, des épaules de lutteuse, ce détail avait frappé Bartier. L’instinct lui avait fait faire un pas de côté, qui lui avait sauvé la vie. Déstabilisé par le coup, fou de douleur, il s’était replié sur lui-même, offrant sa nuque à son bourreau.

Elle s’apprêtait à frapper une seconde fois, mais l’arrivée d’un groupe de garçons l’en avait empêchée. Ils étaient une dizaine à tuer leur ennui en traînant dans la rue. D’ordinaire, poursuivait Bartier, ce sont précisément ces jeunes gars qui me cherchent noise. Casser du pédé les amuse. Ils avaient, ce soir-là, trouvé beaucoup mieux. La vue d’une femme un couteau à la main, le bras levé, prêt à s’abattre, les avait excités. Je ne sais pas, dit Bartier. Comme une poussée d’adrénaline. Ils s’étaient rués sur elle, qui avait à peine eu le temps de décamper.

Le groupe s’était scindé en deux, une moitié coursait la meurtrière tandis que l’autre se tenait au chevet du joaillier qui serait probablement tombé dans les pommes s’il n’avait éprouvé autant de plaisir à être secouru par ces gueules de petites frappes viriles. Je passais de l’enfer au paradis sans transition et sans permis. Un des gars lui tenait la main, un autre pansait sa blessure à l’aide de son mouchoir, un troisième enfin, le plus beau, soupirait Bartier, s’occupait de lui maintenir la tête sur ses genoux. Respirez! lui répétait-il. Respirez. La blessure n’était pas si grave mais Bartier pissait le sang. Le Samu arriva en même temps que la seconde partie du groupe, revenue bredouille. La grande blonde s’était évaporée dans les rues de Paris.

Bon, dis-je en prenant à mon tour la main du malheureux, vous avez peut-être deux ou trois choses à me révéler. C’est bien beau cette histoire d’agression, mais elle ne tombe pas du ciel, la grande blonde. Bartier serra ma main et esquissa un pâle sourire. Vous dire pourquoi est difficile, mais j’avais pris le joailler en sympathie. Lui-même me regardait avec affection alors qu’il était encore alité. Nous nous étions rapprochés. Peut-être avais-je le besoin, après mes démêlés avec Billot, de nouer une nouvelle amitié.

Elle s’appelle Ingrid, répondit Bartier à contretemps.

Nous progressons, lui répondis-je sans lâcher sa main, nous progressons.

 

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