Et en ce temps-là, dont même les plus anciens parmi vous ne peuvent se souvenir, l’indicateur principal de la croissance était encore le P.I.B., produit intérieur brut. Or c’était un instrument de mesure non seulement désuet mais responsable d’une course aux richesses, d’une exploitation avide des ressources naturelles, animales et humaines aggravant ou générant nombre de difficultés sociales, politiques, environnementales et morales qu’on eût atténuées ou résolues en définissant la croissance comme l’augmentation des solutions mises en œuvre pour résoudre les problèmes posés aux vivants,  problèmes qui, toujours examinés et traités à la lumière de paradigmes obsolètes, conduisaient et menèrent l’humanité aux désastres que vous savez. C’est de cette époque que date la dernière composition de Venobeth, le Requiem, et tous les témoignages de ceux qui l’ont connu concordent. Permettez que je vous lise quelques lignes de la très sérieuse biographie que lui a consacrée U.V. Walding — restez bien éveillés, Walding adore les phrases interminables ! « À mesure que l’âge le prenait », écrit Walding qui évoque ici les rives de la soixantaine, « on disait de lui que l’attention qu’il prêtait au monde diminuait, que son regard, pareil à une voile dans la pétole, flottait, pendant, et qu’il ne se préoccupait plus que de lui-même, appliquant toute sa curiosité à son corps, à l’observation de sa peau, à l’écoute de ses viscères sans pour autant faire part à quiconque de l’intérêt qu’il se portait, ne parlant ni à ses proches ni à son médecin de ses introspections, et augmentant par-là encore son isolement : on pensait qu’il travaillait désormais à disparaître, comme s’il avait acquis la conviction que le retrait et l’effacement du monde était l’état le plus désirable et le plus évolué d’une vie, et qu’il suivait avec méthode et opiniâtreté les règles d’un art de se soustraire, de s’évanouir, et qu’en même temps qu’il avançait sur ce chemin d’évanescence, l’écart se réduisait entre l’importance qu’il avait jadis désiré que le monde lui reconnût et la place presque insignifiante qu’il disait être parvenu à occuper dans le chaos ; les moins sévères chuchotaient qu’il cessait de prétendre, les autres qu’il avait abdiqué toute ambition, et à ceux qui lui faisaient abruptement reproche de vouloir mourir, il répondait que non, mais qu’il ne voulait pas non plus vivre : je vis, disait-il, et vivant, je meurs », fin de citation. Tout cela, chers amis, me semblait un petit préambule indispensable à l’analyse que je voudrais vous proposer du Requiem de Venobeth, dont nous allons maintenant écouter ensemble l’Introït.