on se tient à la table dans la compagnie des légumes qu’on entretient la main lente et le fil du couteau tranchant on dépose avec soin son visage dans le chou la carotte et le panais les doigts sentent l’ail on tourne parfois la tête vers la fenêtre où l’après-midi...
aime de moins en moins les crâneries poétiques vais
au frémissement de la langue à peine vêtue aux menues
mesures du dire aux
éboulements mineurs du sens à ce qui fait défaillir
les extrémités fines de la pensée
À l’horizon
bientôt le sentiment se mit à prévaloir qu’on ratait tout qu’on ne manquait pas seulement à réussir mais encore à éviter d’échouer alors on se cala dans le fauteuil de la tiédeur plus rien n’empêcha qu’on donnât de soi le pire on est penché sur la tartine tombée dans...
Commerce
et le printemps dont on avait regardé les premiers jours en souriant, comme un trésor soudain, une récolte inespérée qui promettait une vie pleine, désireuse du lendemain, on le perdit pareillement, d’un coup, comme une fortune engloutie par un krach, une maison...
Crayonné
les poèmes des rue de Paris s’écrivent à l’encre mêlée des caniveaux où les balayeurs poussent les grumeaux de la nuit la poésie des rues de Paris est oblique sagement pentue elle accueille les corneilles le soleil les flâneurs les flaques de pluie et de vomi le...
De la connaissance matriochka
savoir qu’au pied de la colline
l’océan qu’on voit bat contient déjà
ne plus savoir
qu’au pied de la colline
l’océan bat
et savoir qu’au pied
de la colline
Fragment météorologique : l’orage
dans le petit jour gris les corneilles animent seules le feuillage des platanes figé dans l’air lourd
depuis la veille on est pris dans la l’étreinte épaisse d’une pensée médusée on dirait du gras
Fragment météorologique : l’averse
les bourrasques secouent
de larges draperies de pluie
sur les trottoirs torrentueux
ou cherchent leur équilibre
oblique et sautillant
les passants
Sauvetages
au patient épuisement
des forces on se livrait
que le corps n’eût plus
d’asile que l’inépaisseur
d’une image numérique
et que s’éteignît l’âme d’un clic
Finir comme un légume
je tranche des carottes
de l’ail et du fenouil
dans la nuit
j’aime le craquement
du couteau dans la chair ferme
Pousse encore hier
peser aussi les mots
que l’on adresse aux morts
— ils sont un peu de notre poussière et
les entendent chacun le sait
ou tout au moins s’émeuvent
à leur manière
Récit, prière
les nuages qu’on disait
les troupeaux du ciel
et qu’on savait les vents
mener par-dessus les têtes
à pâturer les horizons
passèrent un jour les fenêtres
À deux mètres au moins de soi
amnésiques des jours
et des visages
ignorants des leçons
de lumière comme de ténèbres
la joie
à notre vue que le risque
Racines d’Orphée
je suis les arbres dans leur procession
leur bousculade immobile
et bruissante je ne veux
dans mon paysage défait d’homme
être rien d’autre
et leur âme éparpillée
dans les pages des livres
Circuit court
fondu les plombs
trouver la lumière dans la chair
d’une courge dans
l’aveu que font à demi
les pétales des renoncules
dans ce qu’il reste à découvert
des visages
Passeggiata
on promenait son humanité
à la laisse
on en considérait d’un œil
tendre les déjections
les aboiements
fièrement
L’impropre de l’homme
par les milles détours liturgiques de leur ramure effeuillée les grands platanes du boulevard tentaient d’approcher le ciel
et ce matin pâle dimanche grelottant aux hurlées des scies mécaniques
Des lendemains qui chanteront
rien ne se fait dit-il sans éviscération de l’impossible
sans rupture du col de l’interdit
et le voilà barbouillé d’entrailles qui paraît
Les complaisants
les moins oublieux se souvenaient que des années plus tôt déjà l’hiver avait ainsi repris la mer en plein janvier et qu’on n’en pouvait donc tenir pour responsable celle que les pareils appelaient la folle
Kaïros
c’est un matin d’hiver ordinaire on est
sur la pente de la nuit qui mène
au travail on se demande
mais un instant
à quelle classe
moyenne on appartient et puis
Aux funérailles de 2020
On colore les cimetières de chrysanthèmes On célèbre la seule armistice le dépôt pour de bon des armes c’est la mort On les envie un peu les reposés de n’avoir plus mal au ventre plus peur
Encore toujours
on avait répudié de longtemps
les cinq sens légitimes
on s’épilait avec des précautions félines
les poils des yeux
on en tressait des nids minuscules
aux mouches de l’entendement
À ceux qui résistent
des feuilles nous avons pris la lumière bleutée qui fait aux arbres leur robe d’ombre
et du ciel le roulement d’un coup de dés sur le tapis de l’infini
aux bouches emprunté les poissons et l’argent des paroles
Comment résister
ils battent le pavé des villes ceux qui
trop obliques ou verticaux
pas assez épandus ou pliés
n’ont pas franchi la porte
des statistiques
Une saison d’élégie
les yeux mi-clos à la chute des feuilles on les dit mortes on confond
la mort et le détachement
c’est qu’on les envie
qu’on ne sait
passer la main légère
entre les cuisses qu’égrène le temps
Finement con de nuit
puisqu’on ne peut plus qu’on n’en peut plus après vingt-et-une heures traverser la rue j’arrive chez mes voisins avec mes cordes et mes tuyaux de poésie d’improvisation de composition instantanée ils me reçoivent au fond de leurs pantoufles
Sur le pont
quand même l’équarrissage du temps quand même les dépeceurs de l’espérance les égorgements quand même le gravier des nécessités l’avalanche des exigences les falaises les éboulements les coulées de haine boue les torrents d’égout quand même de l’envie les tessons de...
Regarder les gens (2)
d’une part réduite de l’humanité le dessein d’empoisonner l’autre avec autant que taire se peut son consentement
Regarder les gens (1)
trois haïkaïs énigmatiqueset cependant malgré tout même partout les arbres bourgeonnent longtemps après n'être pas né voici l'enfant des trois lettres du non dans l'oui l'o seul demeure
Au cœur de l’estivant
j’allais à vide l’âme le sol rincé le ventre plein de chien mordant l’œil aiguisé d’appétit d’ombre j’allais ma force était telle que la mer d’un coup l’aurais tirée sur le rivage et là laissée sécher riant de l’agonie désordonnée des créatures j’allais elle me...
Mise au point
n’oublier pas que le migrant de l’homme est le semblable et le sédentaire le différent remettre au Mouvement majuscule croire que la Terre est territoiresseulement alors que tant de routespistesitinéraires sentiers
Oui, mais vite
dorer décaper choisis il est temps la jetée du présent s’effondre la mer bout © Frédéric Teillard
Tenir lâcher tenir lâcher tenir
ce qui paraît la nuit déparaît au matinon vient au monde entre des mainsinconnues aux doigts imaginairesmais longs et fins qui tirent lapossibilité d’un fil et qui sait d’une toileet cependant déjà l’on reçoitl’hospitalité fameusede l’oubli © Frédéric...
Éloge du glissement
être une valeur peusûreprendre le temps de navrerles espérancesavoir entendu de l’humain le chant de nuit puissance du non jouissance du bris et de la vue des débris longue goulées d’envers et de contraire ivresse des éclats des tessons délectation de l’épave et...
À quatre mains
en me levant à cinq heures chaque matin tu fais de moi le plus tenace des poètes debout la tête épanouie comme un houppier les doigts sur le clavier d’où monte la nuit j’attends la grande voilure de mon squelette faseye encore au vent des rêves...
Sous le ciel toujours bleu
dormir rêver peut-être de prendre rendez-vous chez le coiffeur fermé consulter un catalogue de poignées de porte acheter de la crème glacée de première nécessité dans l’espoir d’un autre monde et l’indifférence à son naufrage tout autour...
Au carrefour du présent
l’entrée se fit imperceptiblement dans des temps beaucoup plus difficiles les murs disent qu’avantils aimaient les gensmais que c’est finila philanthropiede pierre et de ferterminé y comprispour les jeunes filles qui passent la nuitsur le trottoir espérant voirde plus...
Sauvons les mers, les océans
elle me tenait le bras la vie la main posée sur l’alpaga vert de mon costume en un geste qu’on ne voit plus qu’au cinéma nous allions côte à côte la vie et moi
Résistances
si rien ne se dit plus pas un mot qui ne soit poursuivi traqué frappé d’opprobre de censure et que la langue penche désolée sur son squelette le poème alors est un plaisir de bouche qu’on le mâche le bave le crache le morsure suçotement se le passe avec la langue entre les dents
Attendre hors-sol
nous aimions les allumettes qui bientôt ne seraient plus nous aimions les arbres aussi les animaux de toutes les manières les regarder leur parler les manger nous faisions à la vie de tremblantes dévotions et de furieuses à la mort nous nous préparions à la catastrophe
Trois destins du beau
que dire de ce qui sitôt saisi s’évanouit et du panier où le parfum puissant des roses mures se mêlait à l’odeur tenue du poisson montaient une haleine de massacre et des cris de couleur on ne voulait pas le manger on désirait seulement que cela fût
Seul avec tous
salut Paris les platanes de la République effeuillée les foules des colères souterraines les impatients dans leur exosquelette de plastique et de verre Securit les trottinettes montées par d’indomptables individualistes
Car si pitié de nous pauvres avez
sa cabane tout un décor de meubles fatigués et de bibelots joyeux arrangés avec soin autour d’une banquette dans un renfoncement de la rue de Clignancourt sa cabane sans toit ni murs son intérieur dehors
Par notre ombre portés
ce qui nous heurtait alors dans le fait que les industriels programmassent l’obsolescence de leurs produits, c’était que cette planification de la panne, ce paramétrage de l’accident, cette organisation du vieillissement nous renvoyait sourdement et en la déplaçant sur des objets
Se souvenir de Jonas
les bêtes disparues jamais cependant ne prit fin le temps d’enfance où nous parlions aux animaux aux animaux vivants ou morts les bêtes empaillées des musées d’histoire naturelle ou des cabinets de curiosité les sauvages les domestiques les plumeuses les écailleuses…
Le déjeuner sur l’herbe
Nous donnions alors aux séismes, aux tempêtes, aux éruptions des prénoms humains, c’est dire que malgré tout l’aveuglement et l’inconscience que manifestaient nos actes quotidiens, nous savions…
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… den ganzen Tag mit dir Zusammen!